Le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin

Le jeune homme regarde le temps qu’il fait à l’extérieur. Le ciel est d’un beau bleu. Il ne s’est toujours pas habitué à cette foule qui grouille aux heures d’ensoleillement. Il préfère le calme du matin, mais Sol le fixe comme s’il était le messie, signe qu’elle veut immanquablement sortir. Il est vrai que la vie en appartement n’est pas le mieux pour cette chienne qui a toujours connu les montagnes de l’Alaska. Même s’il vivait avant à Anchorage, c’était tout de même bien moins peuplé et plus étalé qu’ici, à New York City. La Grosse Pomme. Il avait l’impression d’être au centre de cette même pomme à devoir manger les pépins dégueulasses…

Allez, avec les écouteurs, la musique plus ou moins à fond dans les oreilles, il oublierait les gens, tout simplement. Le jeune homme attrape la laisse et Sol bondit vers la porte. Il n’a pas encore mis les godasses que son téléphone déjà balance de la musique dans ses écouteurs. Il attrape une veste et ils peuvent sortir. La chienne à ses côtés, sans jamais aller fureter vers une odeur alléchante. Les gens dans la rue la regardent bizarrement. Il faut dire qu’elle ressemble à un loup, c’est vrai. Même s’ils n’en ont vu qu’au Zoo de Central Park, cela peut faire drole de penser qu’un loup trottine sur le même trottoir qu’eux. D’ailleurs, beaucoup décrivent un arc de cercle pour l’éviter.

Loki ne fait plus attention à ce genre de comportement. Il comprend leur crainte, mais il sait également que Sol n’attaquerait personne, sauf si sa vie à lui était menacée. Il marche d’un pas rapide et la chienne trottine, de temps à autre, elle redresse la tête pour sentir une odeur, mais ne s’éloigne pas d’un pouce. Il garde la laisse à la main pour si vraiment un policier lui demande de l’attacher, mais il s’arrange toujours pour la laisser libre de ses mouvements. Il marche ainsi jusqu’à Central Park. La musique le coupe complètement du bruit de la ville, il peut imaginer la vie des gens qu’il croise.

Sol se sent un peu plus libre lorsqu’ils arrivent au parc, mais elle ne s’éloigne pas vraiment. Elle reste, à quelques mètres de Loki, allant dire bonjour aux chiens qu’elle croise s’ils sont doux, reste à l’écart de ceux qui lui aboient dessus. Elle pourchasse un écureuil, ne désirant que jouer, mais le petit animal roux est trop apeuré et s’enfuit en haut d’un arbre. Sol en fait le tour deux ou trois fois avant de revenir auprès de Loki. Et puis, elle fait quelques mètres, au détour d’un tournant, quelque chose l’intrigant, là, planqué dans un buisson. Elle se couche, comme pour inviter l’animal à sortir de sa cachette.

Au même moment, sur le chemin, une jolie demoiselle croise le chemin de Loki et lui fait un clin d’œil, auquel il répond. Et comme, il faut bien le dire elle est vraiment très jolie, il continue de la regarder, jusqu’à ce qu’elle le dépasse, et même, là encore, il se tourne, marchant à reculons pour la contempler, de dos cette fois, jusqu’au tournant. Il ferait mieux de regarder devant lui alors que son talon bute contre un caillou ou une branche, ou une racine ou n’importe quoi d’autre, il pivote, tel un chat pour se rattraper sur les mains, mais ce n’est pas le sol qu’il agrippe, c’est les hanches de quelqu’un. Son visage manque de rencontrer le torse à quelques centimètres.

- Ouuups… P-pardon… J’ai… J’ai pas regardé où j’allais. Il bafouille, embêter entre se redresser, couper le son du téléphone, regarder où se trouve Sol et examiner le chemin pour savoir sur quoi il a buté. Pourtant, la main qui s’est retenue sur la hanche de la personne, il ne l’a pas retiré. Il a l’impression qu’elle est comme gluée. Il n’a aucune envie de la décoller, surtout quand il voit sur qui il s’est rattrapé. J’vous ai pas… euh… blessé ? De sa main de libre, il retire les écouteurs, appuie sur le bouton pour couper le son et s’aperçoit que l’autre main est toujours posée sur… Il ne peut qu’offrir un sourire en excuse et retire finalement la main. Oh, pardon... Décidément…

Le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin

Sol reste couchée par terre, les oreilles dressées droit devant elle, les yeux pétillants, l’envie de jouer, la queue battant joyeusement. Tout son corps se tend lentement vers les buissons, comme si elle voulait grignoter l’espace la séparant de la chose tant intéressante. Mais en réalité, si elle arrive à avancer de trois ou quatre centimètres, c’est déjà beaucoup. Elle attend, patiente que la boule de poils ose sortir. Sol est curieuse et son propriétaire ne l’a pas encore rappelée, donc elle peut encore jouer.

En parlant de propriétaire, ce dernier a trébuché sur un caillou ou autre chose et se retrouve dans les bras de cet… apollon des temps modernes. Bon sang qu’il est mangeable se dit Loki. Des yeux tout aussi bleus que les siens, un corps taillé dans le marbre, même sous les vêtements, et grâce à sa presque chute, il peut les deviner. Cet homme est vraiment magnifique. Même si cela fait quelques mois qu’il est arrivé à New York, il n’a pas pris le temps de vraiment regarder le monde, trop occupé à retrouver son géniteur. Mais cette rencontre fracassante a le chic qui mettre tout sur pause et il peut alors observer l’homme. C’est à ce moment qu’il voit qu’il a encore la main posée sur lui.

« Rencontre plutôt fracassante, que vais-je bien pouvoir vous demander pour que je puisse vous pardonner, humm ? »

Loki sourit et lève de part et d’autre les bras, offrant une moue enjouée.

- Proposez toujours, on verra si c’est dans mes compétences. Ses bras retombent le long de son corps et se faisant, la main gauche tapote au niveau de la cuisse. La chienne bondit alors et vient jusqu’à lui, s’asseyant pour que sa tête touche les doigts de Loki. Je m’appelle Loki, et elle, c’est Sol. Je ne connais pas trop les habitudes des new-yorkais en matière de balade dans le parc avec son chien, mais elle ne mord pas, il ne faut pas en avoir peur.

Le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin

Il dit alors que ce n’est pas avec un chien qu’il se promène. Il faut à Loki quelques instants pour comprendre toute la situation. Lui, il regardait la donzelle qui lui a fait de l’œil, c’est vrai, pendant ce temps-là, Sol, elle furetait un peu partout. Quand c’est après les pluies, elle aime bien mettre son nez dans les fourrés pour y trouver des animaux terrés. Juste avant, elle voulait pourchasser les écureuils. Pour Loki, il était donc pensable et tout à fait envisageable que c’était le cas. Qu’il y avait un écureuil planqué dans le buisson et que Sol n’avait pas pu y entrer. Mais visiblement, c’était plutôt un animal domestique et logiquement, Loki a pensé à un autre chien, plus petit, suffisamment petit pour aller dans le susnommé buisson. Mais l’homme en face de lui affirme que ce n’est pas un chien.

- Un chat ? Ca pourrait être un furet, un poisson dans un bocal, un hamster, un lapin, un perroquet ou il ne savait quoi, mais le plus logique, si ce n’était pas un chien, c’était le chat. C’est pas courant de sortir un chat dans le parc. Loki caresse la tête de Sol sans regarder la chienne. Elle n’attaquera pas, c’est certain. Elle voudra peut-être jouer, mais je peux la faire rester ici, sans bouger. D’ailleurs, le jeune homme claque des doigts et Sol se couche et pose la tête par terre entre les pattes. Elle ne bougera plus, je peux vous l’assurer.

Loki sourit, fièrement quand l’homme lui dit que Sol est bien éduquée. Faut dire que la race s’y prête, mais il y a énormément de boulot, c’est vrai. Il a eu de la chance de trouver cet élevage et de choisir Sol. Ils ont eu du mal à créer ce lien, mais désormais, ce dernier est indestructible et indéfectible. Par contre, Sol est très territoriale, c’est l’un des seuls inconvénients. Elle n’a aussi qu’un maitre et s’il fallait que Loki se sépare d’elle (chose qu’il ne veut pas le moins du monde), elle n’écoutera personne d’autre. C’est l’apanage des chiens-loups de Tchécoslovaquie.

C’est à ce moment que Loki propose un « dédommagement », en fait, ce n’est pas vraiment lui qui propose, mais c’est lui, certainement qui accepte. Que l’homme propose et Loki fera. Il a rarement froid aux yeux et se débrouille dans tout et n’importe quoi… « J'hésite, j'hésite, vous seriez prêt à donner de votre personne ? » Loki est étonné, mais il n’y a qu’un sourcil qui monte vers le front pour montrer sa surprise. Il attend ce que l’homme entend par « donner de sa personne »… Evidemment, l’imagination débordante, il se dit que c’est un peu cher payé pour simplement avoir bousculé l’homme. « Je vous propose de me donner quelque chose qui a plus de valeur que l'argent, votre temps. » Il est bizarre cet homme, mais cela plait à Loki. Par contre, il ne voit toujours pas ce qu’il propose… Quoi qu’il voit bien quelque chose, mais non, tout de même, il ne faut pas ab… « Vous m'invitez prendre un verre ? » Le sourire de Loki s’agrandit et il hoche la tête. Il avait vraiment des idées libidineuses en tête.

- Avec plaisir. Loki indique le centre du parc. Dans mes souvenirs, y’a un petit vendeur à la sauvette là-bas. On pourra rester dans le parc comme ça. Et puis Loki penche la tête un peu sur le côté, amusé par la situation, imaginant tout plein de réponses possibles. J’ai toujours pas ton nom. Je refuse de payer un verre si je ne connais pas ton nom.

Le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin

C’est bizarre ce genre de rencontre, non ? Le jeune homme ne saurait pas vraiment l’expliquer. Un moment, on observe le déhancher et le postérieur d’une donzelle et l’instant d’après, on tombe nez-à-nez avec un dieu grec vivant. Remarquez, entre son prénom de dieu scandinave et le corps d’Apollon devant lui, c’était peut-être écrit qu’ils devaient se rencontrer. Il a des yeux absolument magnifiques, un visage fin, ce truc qui pétille au fond des prunelles et un sourire à faire fondre un radiateur. Loki ne peut que sourire jusqu’aux oreilles. Loki tourne la tête vers le buisson lorsque l’homme en face de lui confirme qu’il s’agisse bien d’un chat. Mais il ne peut pas encore le voir. Peut-être que l’animal n’est même plus sous les feuilles, mais ailleurs en train de jouer ou même dans l’arbre. Et puis quand l’homme au corps de dieu grec reprend la parole, Loki quitte le fourré des yeux pour se concentrer sur son interlocuteur. Il sourit d’autant plus quand il entend les paroles. Loki est fier de l’éducation qu’il a donné à Sol.

- C’est un très très long travail qu’on a eu, tous les deux. J’ai toujours voulu ce genre de chien et j’ai eu de la chance, il y avait un élevage à côté de chez moi, j’ai pu choisir la chienne et on a beaucoup bossé pour arriver là. Mais vous avez raison, elle demande beaucoup d’attention, elle est très jalouse, très possessive et très territoriale, après tout, c’est l’apanage des Chiens-Loups de Tchécoslovaquie. Mais elle est parfaitement obéissante et ne le sera qu’avec moi, c’est vraiment le chien que je voulais. J’en suis tellement fier… Elle est tout le temps avec moi, même au boulot, le boss veut bien qu’elle vienne. Elle reste dans le pick-up pour le moment, mais avec un peu de persuasion, j’suis sur qu’il voudra bien qu’elle rentre dans le garage. Il se rend compte qu’il parle beaucoup trop. Il en rougit. Même s’il adore parler de Sol. Faut m’arrêter si je parle de trop, hein.

D’ailleurs, Loki en profite pour changer directement au tutoiement, en le justifiant par le fait de ne pas vouloir payer un coup à boire à quelqu’un auquel il dirait vous. C’est une excuse, mais l’homme a un put*in de magnétisme qui l’attire comme un aimant. Il se présente. Ambrosio. Nom italien très surement. Il va même jusqu’à appeler l’animal sous les buissons et quand le chat sort finalement, Loki pousse un « waoh » silencieux. Seule sa bouche bouge. Elle est absolument magnifique le roux vif, le noir intense et le blanc brillant. Phalbala se frotte aux pieds d’Ambrosio et Loki s’accroupit pour tendre doucement la main vers la bestiole. Sol tente de faire exactement la même chose avec le bout de sa truffe, mais ne peut avancer que de quelques centimètres seulement. Le jeune homme pose la main sur la tête de la chienne. Qu’il ait pu caresser ou non le chat, Loki se redresse finalement.

- Oh oui, c’est juste là, passé le petit étang. Le jeune homme tape discrètement deux fois sur le côté de la cuisse et la chienne se lève pour le suivre. Quelques fois, elle redresse la tête vers Loki pour savoir si elle peut s’écarter, mais comme le chat n’est pas loin, le jeune homme a pas trop envie de le faire fuir, alors il garde Sol à ses côtés. Elle est vraiment magnifique, les main coon, dans ma tête sont tous gris, vas savoir pourquoi, mais la tienne, elle est absolument ravissante. Tiens, tu vois, je t’avais dit que c’était là. ll montre tout fier la petite échauguette qui vend quelques boissons. Même s’il est un peu sans le sou, Loki peut se permettre de payer une boisson à quelqu’un, il n’est pas pingre, au contraire, c’est juste que la vie à New York est bien plus chère qu’à Anchorage. Ils arrivent devant le vendeur. Il y a une personne devant eux, cela laisse le temps d’échanger un peu. Et tu viens d’ici ? De New York, je veux dire ? J’avoue que ça fait pas longtemps que je suis là, j’ai encore du mal à m’habituer à toute cette agitation. Et puis, je ne sais pas trop où chercher pour me faire des amis… des connaissances… Faut dire que je n’ai qu’un collègue et il est pas vraiment du genre à prendre une bière après le boulot… Et faut vraiment que tu m’interrompes quand je parle beaucoup trop…

Le hasard ne fait toujours que la moitié du chemin

Loki sourit jusqu’aux oreilles au compliment. C’est bien la première fois qu’on lui dit ça, à New York. Et à Anchorage, il avait d’autres préoccupation. Ou alors, il s’en foutait, il ne sait pas trop. Mais maintenant qu’il doit vivre tout seul, dans une ville qu’il ne connait pas, ça lui fait drole de n’avoir personne justement. Alors cette rencontre, c’est vraiment agréable.

- Oui, c’est ça, garagiste… mécano… Je répare tout ce que je peux avec mes mains. Il sourit, fier. Accroupi, il attend que la chatte vienne d’elle-même, d’abord méfiante, elle finit par frotter la tête contre le revers de ses doigts. Il tourne un peu la main pour la gratouiller entre les oreilles avant de se redresser. Merci ! On m’avait encore jamais dit que ma voix était agréable à entendre. J’ai toujours pensé qu’elle était trop grave ou qu’elle dérangeait les gens. C’est pour ça que j’évite de parler… Mais quand on me lance sur un sujet et qu’on ne m’interromp pas, j’ai tendance à trop parler...

Ils finissent par partir vers la cabane vendant des boissons et sucreries. Sol marche à ses pieds, sans un bruit, lançant de temps à autre des regards derrière elle, vers l’animal à poil long. Sol est curieuse, mais elle reste à sa place. Et quand le chat passe devant, elle se met à respirer fort, pour sentir l’odeur du félin, mais tant que la main de Loki ne bouge pas, elle restera là. C’est alors, à Ambrosio de parler de son chat et pendant qu’ils attendent leurs tours, le jeune homme regarde l’animal fureter. Il aime beaucoup les chats, mais il a préféré un chien, il pouvait alors le dresser comme il le souhaitait. Et puis, il voulait prouver à sa mère qu’il pouvait prendre ses responsabilités. Elle n’a pu être fière de lui que si peu de temps… L’homme qu’il a bousculé explique également, rapidement son parcours. Il habite New York, mais il a beaucoup voyagé. Il pose des questions et le sourire qui n’avait jamais quitté les lèvres de Loki s’agrandit encore plus, si toutefois cela est possible.

- Si tu me laisses parler, je vais beaucoup parler ! J’ai tellement pas l’occasion de parler en fait… Tout ça pour dire que je suis sur New York depuis… euh… 6 mois… Je crois, depuis Halloween, à peu près. J’ai déménagé, j’ai pris mes affaires et zou, je suis venu ici. Et j… Ah, c’est à eux, la personne devant vient tout juste de partir. Loki fait deux pas pour se présenter devant le vendeur derrière l’étal, mais la tête se tourne vers Ambrosio. Du coup, tu veux quoi ? Il regarde ensuite le vendeur. J’vais vous prendre un coca, s’il vous plait. Il tend ensuite un billet, sorti directement de la poche du jean qu’il porte. Le vendeur lui tend la canette et la monnaie, puis il donne la boisson à Ambrosio. Viens, on va s’assoir là-bas.

Il préfère là-bas parce que Sol pourra un peu vagabonder, sans aller trop loin. Et puis, c’est plus calme pour le chat également. Il prend place à une table. La chienne s’assoit à ses côtés, mais Loki hoche doucement la tête en la regardant et elle se redresse pour trottiner en zigzag, tout autour d’eux. Quelques fois, elle tente de se rapprocher du chat sans l’agresser, elle semble juste vouloir se présenter. Pendant ce temps, Loki lève la canette vers Ambrosio.

- A notre rencontre. Mais il n’a pas oublié leur conversation. Il boit juste une gorgée avant de reprendre la parole. J’habitais à Anchorage avant, j’ai pris mon pick-up, mes affaires et Sol et je suis venu. J’ai fait le trajet presque d’une traite, j’ai juste dormi quelques heures dans la voiture. J’ai trouvé un boulot rapidement, faut dire que je me débrouille bien avec mes mains. Mon précédent patron m’a dit que j’avais des mains en or. Loki lève les mains, comme pour les marionnettes. Si tu veux un massage, je suis super doué. Loki ne se rencontre qu’après… de ce qu’il vient de dire. Et quand il s’en aperçoit, il rougit un peu et cache sa gêne momentanée en absorbant un peu de boisson… Un peu trop. Il avale de travers et sa remonte par le nez. Il se met à tousser pour enlever la gêne subite. Pardon… Je fais que des conneries, aujourd’hui.