Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

Il se regarde dans le mirroir. Il y voit Père. Il y voit un étranger qui va commettre sa plus grosse connerie. A son cou, sous le costume impécable, il porte une chaine sur laquelle est suspendue un anneau d'or. Ce dernier pèse un milliard de tonne. Il soupire. Il est devenu la copie conforme de Père. Il se mord la lèvre inférieure un instant, aimerait bien passer les doigts dans les cheveux, mais il ne veut pas détruire ce que le coiffeur a mis une bonne heure à faire tenir. Il soupire. Lorcan se sent mal. Il sait qu'il est en train de faire une connerie. Mais jamais, JAMAIS il n'aurait accepté que sa soeur se marie pour des contrats commerciaux. Et c'était ce à quoi elle semblait destinée avec cette famille.

Les Van Der Staal étaient des êtres abjects. Carriéristes, intransigeants, hypocrites, faux, se foutant bien de qui fait quoi tant que cela rapporte de l'argent. Père n'était pas si différent, mais il avait le sang de la noblesse et il savait dissimuler. Sa colère face à l'annonce des changements exigés par Lorcan s'était tue. Il devait surement être assis, silencieux, dans la première rangée, derrière le futur marié. Il avait eu dans son regard un air de condécendance. Lorcan se sacrifiait pour sa soeur et cela ne lui faisait ni chaud, ni froid. Cet homme était un coeur de glace. On frappe à la porte et Lorcan tourne la tête vers ladite porte. Il ne veut pas sortir, pas encore. La personne derrière insiste. C'est l'heure.

L'héritier remonte l'allée centrale de la cathédrale. Son regard reste fixé sur le Christ un peu plus loin, auprès du Maître-Autel. Il affiche un sourire de façade. Le long de ces quelques mètres, il pense à la jeune femme qu'il doit épouser. Au final, il aurait pu tomber sur bien plus mal. Elle non plus n'a aucune intention de se marier. Alors ils ont convenu d'une chose. Ils obéissaient à leurs parents et ils se foutaient la paix. Il lui avait promis de ne pas partager son lit mais de l'arracher au joug de ses parents, elle lui avait promis de faire semblant de vouloir un héritier pour Père. Lorcan n'a aucune attirance pour le sexe opposé, mais dans un monde où la tradition est reine, il doit faire semblant.

Voilà, il arrive à sa place, non loin de l'évèque. L'anneau à son cou pèse doublement plus lourd. Oui, Lorcan est techniquement marié. Avec Eon. Eon... Bon sang... Il a perdu cet homme qui... qui comptait tellement pour lui. C'était le seul avec qui... L'irlandais croise le regard de Père et se reprend. Il ne doit pas se montrer faible. Il doit faire semblant, semblant de vouloir épouser cette jeune femme qui ne devrait tarder... D'ailleurs les portes s'ouvrent et une apparition absolument magnifique s'approche, sous la musique sous les "oooooh" des familles réunies. Oui, il aurait pu bien plus mal tomber. Le père laisse la future épousée s'approcher pour aller s'installer, au même rang que Père, derrière la mariée. Il est fier, il est fat. Lorcan soulève doucement la main de la jeune femme. Il la sent au bord des larmes. Et le prêtre commence la cérémonie.

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

La nuit avait été difficile, comme pas mal toutes les nuits depuis leur dispute, depuis qu’il lui a annoncer que le tout était terminé entre eux, son mariage était aujourd’hui. Lui se trouvait encore coucher dans sur le canapé, les yeux fixant le plafond à chercher une raison valable de tout ça. Une raison de pourquoi il se sent si mal, pourquoi il ne voudrait que passer la porte de son appartement fraichement acheter et défoncer la sienne, mais qu’il ne le fait pas. Les papiers du divorce étendu sur la table du salon, le nargue de plus en plus, ce ne sont que des copies signer de sa main, les originaux sont surement partis vers chez lui, il a préféré laisser l’avocat s’en charger. Décision prise sur le coup de l’annonce, il n’a fait que ça, décider sur un coup de tête, depuis. Les papiers, le logement, quitter son travail de barman, il est épuisé, mais s’il ferme les yeux, il ne voit que son visage, torture qu’il ne veut plus.



Son téléphone sonne, surement ses sœurs qui essaie de voir s’il est toujours vivant, mais il ne tend même pas le bras pour répondre, le plafond est fort plus intéressant. Puis la porte, sa hurle aussi, Hestia qui menace de défoncer, quelle blague. Comment l’a-t-elle trouvé ? Il ne cherche même pas, il se lève finalement et va ouvrir avant qu’elle ne se mette à courir pour tenter l’impossible. Une petite chose comme elle va se briser en morceau en essayant de faire ce qu’elle a en tête, simple raison, pas parce qu’il veut la voir. Il ne la salue aucunement avant de cette fois, se diriger dans son lit et s’y laisser tomber. Le mariage est pour dans une heure et il ne peut rien faire.



Elle continue à jacasser, à lui faire les remontrances qu’il abandonne trop vite, qu’il devrait aller chercher son homme puisqu’il l’aime. Il n’écoute plus, oreiller sur la tête, il lui hurle de partir, sauf qu’il se fait frapper. Plusieurs coups, lui disant de lever son derrière et de se changer, une douche aussi apparemment. Éon est faible devant ses sœurs et malgré il se retrouve après une demi-heure en veston, assis dans la voiture de sa grande sœur. Les mains moites, le cœur qui bat trop vite, il sait où elle va et il voudrait mourir.

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

Il a l'impression d'être une feuille de velum si fine, enroulé autour d'une fiole de vinaigre. Brisez la fiole et le parchemin est dissout, il ne restera plus rien. Il a l'impression d'être ce parchemin suspendu à un fil au dessus d'un vide immense. Le prêtre s'apprête à couper le fil. Il va tomber, il... Ses genoux sont en coton, c'est incompréhensible comment il peut tenir debout, digne et fier, du moins en apparence. La jeune femme est cachée sous le voile et elle ne doit pas mener large non plus. Quelques fois de sa main libre, elle essuie quelque chose sur sa joue. Surement une larme. Dans ces moments, Lorcan serre un peu les doigts autour des siens, comme pour lui donner un peu de courage, comme pour compatir à son malheur. Parce que s'il parvient à garder un visage impassible, au fond de lui, il est brisé. La dernière engueulade avec Eon a été la plus terrible. Celle de trop. Et c'est lui, lui, Lorcan Cunningham qui a lancé les hostilités. Mais c'est pour le bien d'Eon. Il... Bien sur qu'il ne pensait pas un traitre mot de tout cela, mais il n'a pas eu le choix. Sauver sa soeur est primordial, sur tout. Même sur son propre bonheur. Et c'est Eon qui en paie les frais. Lorcan est profondément désolé pour ce qu'il a fait à Eon, mais il ne pouvait pas faire autrement.

- Si quelqu’un a quelque raison...

Etrangement, alors qu'il se perd dans des réflexions profondes, alors que la tension est au maximum, il repense à ce Noël 2023, il y a plus de 6 mois... Il s'en souvient. Il se revoit faire la fête, fumer de l'herbe qui rend joyeux, boire, boire et boire. Il se revoit danser comme pas possible, être tellement heureux. C'était une fête grandiose. Et c'est là qu'il l'a vu. L'homme blond avec un regard incroyable, un sourire à faire fondre un radiateur. Il ne l'a pas reconnu, non. Il n'avait aucune idée qu'il s'agissait d'Eon Zaïmis. Mais cet homme, il l'a désiré. Tellement fort, à l'instant où il l'a vu. Et ce n'était pas parce qu'il avait picolé. Il l'a senti dans ses tripes, avant que l'alcool n'inhibe ses sens. Il a dansé avec lui, il a flirté avec lui, il a laissé parler ses mains, son coeur, son corp. Il l'a entrainé dans cette suite présidentielle et ils se sont donnés à l'autre. Puis ils sont ressortis, ont trouvé, il ne sait comment une bijouterie. Quelle idée... Il a acheté les anneaux, les a fait graver et ils sont partis pour la première chapelle de l'Amour... Ils sont alors retourné à la suite et ont refait l'amour, le plus profond, le plus merveilleux amour. Chaque fibre de son être avait vibré pour Eon. Eon, le prêtre oui, avait prononcé son prénom, il s'en souvient maintenant.

- ...que ce soit de s’opposer à ce...

Eon Zaïmis. Il l'avait appris le matin suivant, alors qu'il signait la note de la chambre. Il doit dire qu'il s'en était douté. Quelques instants plus tot, au reveil, quand l'homme blond et nouvellement marié lui avait raffraichi la mémoire. Il n'y a pas grand monde sur Terre qui possède le prénom d'un Dieu grec. Il n'y a qu'une famille assez timbrée et bien connue du monde des finances qui donne les prénoms divins à ses enfants. Eon Zaïmis... Mais Eon ne lui a jamais donné son nom de famille et Lorcan avait fait comme s'il ne savait pas. Eon avait sans doute des raisons pour le lui cacher. Avait-il fait une erreur, dès cet instant ? Il ne voulait rien avoir à faire avec cet homme, mais... le temps passant, il... Ils avaient tenté de divorcé, dès le premier jour alors que d'autres convolent vers des cieux paradisiaques, en lune de miel, loin de tout, eux, avaient fait la queue à la mairie, avaient pris des rendez-vous avec la Cour de Justice pour mettre un terme au contrat de mariage. Non, qu'on leur avait dit. Trop tard, qu'on leur avait lancé à la figure. Ils resteraient mariés quelques années avant de peut-être concéder à leur divorce. La colère et surtout la terreur s'étaient immiscées en Lorcan. Son père ne devait jamais... jamais... JAMAIS l'apprendre. Cela serait foutu de lui.

- ...mariage, qu’il parle maintenant,...

C'était la raison du pourquoi il était là. Dissimulé un mariage par un autre. L'église catholique avait peut-être fait quelques recherches concernant l'héritier irlandais. Mais il était le fils d'un Lord catholique, il ne pouvait pas épouser quelqu'un autrement que de manière catholique, alors elle avait mal fouillé les données. Elle n'avait pas recherché au sein des chapelles de l'Amour à Las Vegas. L'idée ne serait même pas venu à l'esprit des "enquêteurs". Lorcan commettait en cet instant un parjure. Il était déjà marié, légalement, de manière protestante à Eon. Bigamie ? D'une certaine façon. De toutes manières, avec son style de vie, avec son amour pour les hommes, Lorcan savait déjà qu'il pourrirait en Enfer. Un péché, de plus ou de moins... Ce qu'il ne voulait pas, c'était perdre le contrôle. Personne ne pouvait intérompre ce mariage. Pas même lui. Dans quelques années, peut-être, quand Neasa sera en sécurité auprès d'un homme qu'elle aime, il pourra demander le divorce... Il était trop tard désormais. Trop tard, la machine était en route et elle écraserait tout sur son passage...

- ...ou se taise à jamais.

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

Tout ce qu’il lui a passé par la tête depuis que Lorcan lui a dit qu’ils allaient divorcer, depuis qu’il lui a annoncé son mariage avec cette fille. Il en a fait des conneries, boire plus que de raison, dormir, manquer les cours, se battre, il a même failli coucher avec un mec, mais il n’a pas pu, il l’a payé aussi, un bon coup sur la gueule. Et là, lui qui avait décidé de rester à ne rien faire ce weekend, sa soeur déboule et le sort de force de son nouvel appartement et le voilà bien habillé, maquillé et assis dans sa voiture. Il sait où il va, il ne veut pas, il ne veut pas subir la torture de voir l’homme qu’il a marier noël dernier passé la bague au doigt d’une autre.

Noel, ce mariage, il ne l’avait pas calculé. Lui, il voulait seulement faire chier son paternel en ne se présentant pas au repas familliale, il voulait fêter, boire, fumer et oublier. Mais voilà que cet homme se présente à lui avec ses yeux illuminés, qu’ils discutent, danse et s'embrassent. Il ne sait pas comment ils sont arrivés à magasiner les bagues, à se retrouver devant le prêtre, mais il est heureux de l’avoir au doigt. Bordel que Lorcan l’énervait, il était tout ce qu’il avait toujours détester depuis gamin, l’enfant d’un homme riche qui se croit tout permis, qui n’est que la marionnette du père avec son cul trop serrer pour se permette de vivre pleinement. Pourtant aujourd’hui son coeur est déchiré pour lui, pour eux.

La voiture s’arrête, il sort, ses jambes tremblent, son coeur ne bat plus, il a la cage thoracique coincée, l’air ne passe plus et pourtant il entre à la suite de son aînée dans l’église. Ils sont là tous les deux, devant le prête, main dans la main, il le voit Lorcan qui tremble, qui n’est pas bien. Éon peut le lire, il le connaît par coeur, il voit le supplice qu’il se donne, ce n’est pas correct pourtant, il ne bouge pas.

Si quelqu’un a quelque raison…

Hestia qui lui prend le bras, le regard qui supplie, il ne le voit pas, il le connaît, lui sont regard ne lâche pas Lorcan, il l’étudie.

… que ce soit de s’opposer à ce mariage..

Hestia qui le pousse, mais il ne bouge pas, il n’a pas le droit, Lorcan à été clair depuis le début, son père ne doit pas le savoir. Éon le regarde, plus la phrase avance et plus il le sent nerveux, torturer, il ne voit que lui.

… mariage qu’il parle maintenant…

Il finit par faire un pas, tirer par sa grande soeur, il devrait ouvrir les lèvres et dire quelque chose, mais il ne peut pas, il est si enragé après son mari, il veut lui faire payer et pourtant là, à cet instant il a mal pour lui.

... ou se taise à jamais.

C’est sûrement le dernier mot prononcé par le prêtre qui a tout débloqué, parce qu’il avance dans l’allée, main levée, son regard fixé sur Lorcan. Il est nerveux comme pas possible, mais en même temps, décidé, il va faire ce qu’il aurait dû faire depuis des mois et il sait que c’est la meilleure des décisions. Le prêtre allait continuer, mais s'arrêta, les regards se tournèrent sur lui et ses lèvres se mettent à bouger d’eux même.

- Tu es capricieux, une putain de marionnette, un esclave. Le gosse de riche par excellence qui a peur de mettre son pied à terre. Tu m'énerves à toujours utiliser ton pingouin au lieu de faire les choses par toi-même. Je déteste qu’on ne puisse avoir une vraie conversation sans que ton père ne viennent entacher celle-ci. Je hais de voir cette lumière tenir dans tes yeux à chaque fois.

Il avance de plus en plus, il est mené par une force qu’il ne reconnaît pas, il se fout carrément du regard des gens en ce moment, celui qui compte est devant lui. Il a presque dépassé la moitié.

- Mais j’aime le fait que tu m’appelles lorsque ça ne va pas, que je sois cette place où tu es finalement toi. J’aime que tu oses fermer les yeux lorsque je suis dans la pièce sans te soucier de rien. J’aime que tu te laisses aller a faire le gamin en ma présence.

Il est arrivé au bout, le père de Lorcan levée prêt à le faire sortir de force, mais il ne se laisse pas impressionner, il connaît ce genre de paternel, il vit avec un. Son regard change de personne pour se diriger sur le patriarche.

- Vous devriez avoir honte. Vous avez deux enfants qui valent la peine de connaître et pourtant tout ce que vous voyez est votre nom et votre argent. Lorcan est mille fois mieux que ce mariage, il a des idées qui vous ferait grandir et pourtant vous le tuez à petit feu. Avez-vous seulement essayé de l’écouter, de le connaître ? Moi, oui et je ne le regrette pas, je regrette seulement de m’être plié comme il se plie devant vous.

Il contourne la boule de rage qu’est devenu le père pour monter les marches de l’autel et se placer devant son mari. Il sait que le Lord ne fera pas de scène devant autant de personne, ça serait mauvais pour l’image.

- Hey toi, désolé je suis en retard. Bon on a le discours, la marche à l’autel. Ah.

Il prend la bague qui pend autour du cou de son mari et la lui passe au doigt.

- Sa place est à ton doigt amour, nulle part ailleurs. Bon bague et..

Il lui prend le visage des mains et dépose finalement ses lèvres sur les siennes. Retrouvant leur vrai place.

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

Non, personne ne va arrêter ce mariage. La famille de la mariée est trop contente d'associer son nom à celui des Cunningham, ils vont récolter le titre de Lady quand Lorcan sera Lord, alors ce n'est pas les Van Der Staal qui vont empécher ce mariage. Quant aux Cunningham, ce n'est pas Père qui l'arrêtera non plus. Personne ne voudra contredire ses plans. Pers... Le futur marié fixe le visage du prêtre. Il... le vieux religieux a une expression bizarre sur le visage. Des murmures, des bruissements venant de derrière. Lorcan tourne la tête pour voir qui oserait déf... Non... Le monde s'écroule. Pas Eon. Pitié... Pas... Il ne peut quitter des yeux l'américain qui s'approche.

- Tu es capricieux, ... Lorcan déglutit, totalement figé sur place. La salive passe difficilement dans le conduit et ses genoux sont encore plus en coton qu'autre chose... Il ne va tout de même pas... Capricieux ? Peut-être, il ne s'en rend pas compte. Marionnette ? Non... Il n'est pas d'accord... Un esclave ? Non, surement pas, il... Un gosse de riche, ça oui. Le pingouin ? Henry ? Mais c'est son... boulot de faire ça... Quand Eon parle de Père, Lorcan tremble. Et quand il parle de lumière, il baisse ses yeux. Trop d'émotion pour aujourd'hui, il n'arrive pas à se contenir...

- Mais j’aime ... L'irlandais redresse les yeux, Eon a avancé. Plus rien n'existe autour d'eux. Juste les deux hommes... La commissure de ses lèvres se lève de chaque côté pour offrir un sourire triste. Il ne devrait pas, il devrait le repousser, lui dire qu'il n'a pas à interrompre ce mariage, mais c'est plus fort que lui, il aime ce qu'il entend. Son coeur se remet à battre, comme s'il était arrêté, quelques secondes auparavant et cela fait mal, mais c'est un bon mal. Pourtant, ce sourire disparait lorsque Eon passe juste à côté de Père.

- Vous devriez avoir honte. Les lèvres de Lorcan s'entrouvrent, il aimerait dire à Eon de ne pas s'en prendre à Père, mais ce qu'il entend lui réchauffe tellement le coeur. Et puis, il a bien trop peur d'affronter Père. Ce dernier est en effet, rouge de rage, carmin même. Il ne fera aucune scène en public, et s'il pouvait tuer d'un regard, Eon aurait été foudroyé un million de fois déjà. Lorcan n'est même pas certain que Père ait reconnu Eon. Probablement, car il est rare que Père oublie le nom et le visage de quelqu'un. Mais Eon n'en a pas fini.

- Hey toi, désolé je suis en retard. Bon on a le discours, la marche à l’autel. Ah. Lorcan est tellement surpris de cette intervention qu'il ne réagit pas quand Eon va fouiller sous le col pour retirer l'anneau autour de son cou. C'est à peine s'il sent l'homme lui glisser l'alliance à son doigt. Dans l'assistance, les "ooooh" des hommes, les murmures des femmes, les cris d'effroi du prêtre et la haine silencieuse de Père, comblent le silence. Les genoux de Lorcan vont lacher s'il continue. Il dirait bien de ne pas continuer, mais sa gorge reste nouée. Incapable de dire un mot... un son...

- Sa place est à ton doigt, Amour, nulle part ailleurs. Bon, bague et... et quoi ? Lorcan est t... Mais en un clignement de paupière, il sent les mains d'Eon contre sa nuque, il sent tout le corps d'Eon contre le sien, il sent les lèvres d'Eon sur les siennes, il sent le souffle d'Eon qui s'écrase sur son visage, il sent la langue trouver son chemin et il sent qu'il réagit à l'identique. Il embrasse Eon de tout l'Amour qu'il peut ressentir. Le prêtre manque la crise d'apoplexie de peu, les murmures se font bien plus bruyant. Comment osent-ils ? Dans un lieu tel que celui-ci !

A bout de souffle, Lorcan s'écarte un tantinet. Etrangement, ses yeux se portent d'abord sur la famille Van Der Staal. Ils sont rouges de colère également et blanche de dégout. Le regard de l'irlandais glisse sur le visage d'Eon. Bon sang... qu'a-t'il fait ? Il a déchainé les Enfers... Et finalement, les pales iris se portent sur Père. Il le voit prendre trois secondes pour retrouver un visage impassible ou plutôt froid comme la Mort et il tourne les talons, le menton haut, l'air déterminé, puis il quitte la cathédrale. Mère le suit de peu, inquiète, peut-être même affolé. Les yeux de Lorcan se posent sur sa petite soeur, Neasa. C'est là que les genoux cèdent, que l'irlandais se rattrape sur Eon...

- Eon... Les cordes vocales sont douloureuses, la gorge toujours nouée. Pourquoi t'as fait ça... Qu'est-ce que je vais lui dire ? Tu... Tu n'as pas idée de ce qu'il peut faire, il... Pourquoi maintenant ? Eon... Il s'accroche encore, ne voulant le lacher, incapable de tenir debout sans un appui...

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

Bon sang, il ne comprenait pas ce qu’il faisait là, ce que sa sœur avait dans la tête pour le conduire dans cette église. Mais au moment où le prêtre demandait qui s’y oppose et que son aînée le pousse vers l’avant, c’est comme si ses lèvres ne pouvaient s’empêcher de bouger. Il avait sorti tout ce qu’il détestait sur son mari, les regards rivés sur sa personne le rendait nerveux. Son propre regard fixé sur l’homme devant l’autel le rassurait tout en le rendant encore plus nerveux, ça se voyait qu’il paniquait juste pour le voir avancer. Devant le père, il ne sait pas comment, mais il trouva le courage de l’affronter, lui dire qu’il devrait avoir honte et son coeur rata plusieurs battement, ses mains devint moites, mais il ne pouvait s’arrêter maintenant. Pas tandis qu’il avait Lorcan à sa portée, qu’il lui fallut que quelques pas pour atteindre son mari, qu’il réussit finalement à lui avouer qu’il l’aimait.

Devant l’autel, il fit ce qu’il faut pour officialiser à nouveau leur mariage et il sut que ce fut ce qui allait ouvrir l’enfer. Le père de Lorcan, son propre père, ils n’allaient pas laisser ça passer, ils allaient faire de leur vie un enfer. Éon allait devoir se battre pour leur couple, il allait devoir être le pilier des deux, il savait que ça serait difficile, mais il voulait se battre pour lui, même contre Lorcan lui-même. Parce que le pire ne sera pas leur père, mais le jeune Lord puisque ce dernier a tendance à se retrancher et cette fois, il ne le faut pas.

Son regard suit celui de son mari vers le père, rouge de colère une seconde et impassible visage la seconde d’après. Il tourna les talons sans regard et quitta l’église, le bruit de la porte qui se ferme les fit sauter et Lorcan s’effondra. Réflexe rapide, Éon eut le temps de le rattraper, ses paroles lui montra à quel point sa panique était élevée à l’instant. Sa main sur la tête de son mari, l’autre autour de son torse, il le tenait serré dans un calin qui se voulait rassurant.

L’église se vidait et il se posa au sol, Lorcan toujours contre lui. Il voudrait lui dire que tout allait bien aller, mais il savait que ce ne serait pas le cas, si Lorcan avait peur de son père c’est qu’il y avait une raison. Pourquoi faire ça ? Parce qu’il ruinait sa vie, parce qu’il ne voulait pas le laisser partir, il y en avait des raisons.

Je suis là, je reste avec toi. On va affronter ça à deux.

Il lui prit le visage entre les mains, passant ses pouces sur ses joues.

Je ne pouvais pas te laisser faire ça, je ne voulais pas te quitter et je ne le ferais pas de si tôt.

Whatever our souls are made of, yours and mine are the same.

C'était... la plus belle déclaration qu'on ai pu lui faire.

Vraiment. Sincèrement. Quelques jeunes femmes s'y étaient risquées, mais elles avaient toutes rencontré un mur. L'implacable Lorcan Cunningham n'avait jamais été impressionné. Certes, il n'aimait pas les femmes mais les mots ont toujours de la portance. Pourtant, il savait pertinemment que seule sa renommée, le fait qu'il soit l'héritier d'un Lord irlandais, que le portefeuille était rempli, était le moteur de leur envie de faire partie de la famille Cunningham. Avec Eon, c'était tellement différent. Eon n'avait pas besoin de son portefeuille. Eon n'avait pas besoin de la renommée. Car si le patriarche Cunningham ne l'avouerait jamais, les Zaïmis étaient bien plus connus que les irlandais. Mais pour le père, il y avait une différence extrême. Eux, les Cunningham avaient une histoire royale. Une histoire dont il ne laisserait personne entacher.

Et c'était ce qu'était en train de faire Eon. Cette déclaration n'était pas au gout de Conall Cunningham. Lord Conall Cunningham. Il quitta la cathédrale, la tête haute et l'air toujours aussi fier, mais il se retenait. Il maintenait sa rage, que dis-je, son ire, muselée. Il était hors de question de faire des esclandres ici, devant tant de témoins. Ce litige sera traité en secret, au coeur de la famille. Il quitta les lieux, à bord de sa limousine et alors que cette dernière s'engageait dans la circulation, il pianota sur son téléphone.

Dans la cathédrale, Lorcan se rattrape à Eon. Il tente de deviner les prochaines actions de Père. Il est certain que le paternel ne se laissera pas faire. Les paroles rassurante de son mari le font frémir. La guerre est engagée et il n'est pas certain qu'Eon ait les épaules pour défier Père. Personne ne les a, pas même le puissant Thanos Zaïmis. Lorcan en est persuadé. L'irlandais hoche du chef, sans un mot, incapable de parler. On affrontera cela à deux. Une ombre s'approche. Lorcan redresse les yeux. Il s'agit de Stewart. L'héritier ne l'aime pas. Il n'aime pas cet air de confiance qu'il porte.

- A dhuine uasail, iarrann d'athair ort teacht abhaile láithreach. Caithfidh sé labhairt leat. (Monsieur, votre père vous ordonne de rentrer immédiatement. Il veut vous parler.) Quand même les employés commencent à parler en irlandais, c'est mauvais signe. Lorcan se redresse, hoche du chef et glisse sa main dans celle d'Eon. Ce geste est vu par Stewart qui ajoute. Ina aonar. (Seul.)

Lorcan hoche la tête. Il se doute bien de ce qui va arriver. Est-ce une prémonition ou une simple déduction logique, il embrasse les lèvres d'Eon et s'éloigne, allant embrasser sa soeur et lui murmurant à l'oreille.

- Coinnigh dom é, a dheirfiúr bheag. (garde-ça pour moi, Petite Soeur)

Dans sa main, il glisse l'anneau qu'Eon vient pourtant d'assurer que la place doit être à son doigt. Il le fait de telle manière que Stewart ne le voit pas, ni Eon. Personne d'ailleurs, ne s'en aperçoit. Puis sans un regard en arrière, le menton tout aussi droit, il précède Stewart et se dirige vers la voiture.


Lorcan entre dans le bureau du Pater Familiae. Il est accueilli par un regard froid, glacial, glacé, congelé même de Lord Conall Cunningham. La conversation qui suit ou plutôt le monologue se fait en irlandais. La voix est impétueuse glacée et brulante à la fois, terriblement douloureuse pour celui qui l'entend. Lorcan n'est pas autorisé à s'assoir et il reste debout, devant le bureau.

- Vous me décevez. Vous avez jeté la honte sur le nom des Cunningham. Un mariage ? Et aux vues de la nature des deux protagonistes, il n'a pas été fait à l'église. C'est inadmissible. Vous me faites honte. J'étais prêt à accepter le fait que vous épousiez une roturière, mais accepter de vous voir embrasser un homme ? Il en est hors de question. Lord Cunningham est l'avocat, le juge et le jury. Je ne veux pas que le nom de Cunningham soit entachée par vos actes. Vous êtes donc destitué de votre titre d'héritier. Votre soeur, malheureusement, deviendra ma seule et unique fille. Elle sera mariée à un homme que je lui choisirais et vous prendrez le nom de votre mère. Afin de vous racheter, vous serez envoyer en Irlande où vous oeuverez à trouver une épouse digne de vos ancêtres.

De tout cela, Lorcan reste droit et impassible. Comment est-ce qu'il y arrive ? Lui-même ne sait pas. Peut-être l'énergie du désespoir. Peut-être que l'information n'est pas encore arrivée au cerveau. Il entend mais n'écoute pas. Comme dans une pièce de théâtre bien ficelée, Stewart entre dans le bureau, il s'approche du père et du fils, tend un courrier au plus âgé. Lorcan ne peut retenir de froncer les sourcils. De là où il se trouve, il peut lire distinctement l'adresse sur l'enveloppe. C'est la sienne. Stewart a dû voler la lettre chez lui. Il reconnait également la provenance, inscrite en haut à gauche. Un cabinet d'avocats. Le père, sans vergogne ouvre le courrier. Le fils déglutit. Puis les yeux du patriarche s'illuminent un peu plus, brillent d'une lueur étrange.

- HA! Le fils Zaïmis n'est rien qu'un menteur et un être faux. Regardez. Il tourne les feuillets pour que Lorcan puisse parfaitement lire. Il s'agit d'une demande de divorce. Ses prunelles tombent sur le bas de la page. Eon a déjà signé. Lorcan ne comprend plus. Son coeur éclate tel une bulle de savon. Pouf... Et en un éclair, il n'y a plus rien. Il a l'impression d'être un mort-vivant. La carcasse bouge, mais il n'y a plus rien à l'intérieur. Ce papier vous sauve la mise. Signez. Et vous serez réinstauré dans votre condition. Mon fils, l'héritier.

Et Lorcan n'hésite pas. Il signe. Il ne signe pas parce qu'Eon lui a menti. Il signe pour aider sa soeur. Encore et toujours. Seule sa soeur compte, son bonheur à lui, il s'en fout royalement. Conall Cunningham reprend le papier entre les mains, tasse les feuilles et les tend à Stewart qui les range diligemment dans l'enveloppe et garde cette dernière entre les mains. Le patriarche se remet au travail, tout en parlant à Lorcan, comme si cet épisode n'avait jamais existé.

- Bien entendu, il est hors de question que vous gardiez contact. Cet été, je veux vous voir à la maison en permanence. Vous retrouverez les bancs de l'université en septembre. Je ne veux plus une seule de vos frasques. Nous devons attendre que cet... évènement... tombe dans l'oubli. Retirez l'anneau et donnez le moi, je vais le faire disparaitre. Il redresse les yeux mais Lorcan lève la main, l'anneau n'est déjà plus présent. Où est-il ? Entre les mains de Neasa, pourquoi ? Mais ce n'est pas ce que dit Lorcan.

- Je l'ai jeté par la fenêtre en venant ici.
- C'est vrai qu'il a ouvert la fenêtre pendant notre retour ici.
- Bien, qu'on en entende plus jamais parler.