encore un verre
et c'est celui de trop
celui qui fait que tout déborde

d'abord, cary ne s'en rend pas tout de suite compte. il navigue, ici et là. remue les hanches sur la piste de danse sans se soucier de quoi que ce soit.
il ne pense plus ; à rien -
enfin, presque.

il imagine seulement ce que peuvent bien faire les étoiles au-dessus de sa tête. celles du soir, dans le noir. celles qu'il aime observer quand il se sent si seul et démuni.
encore une fois, avant d'arriver à cette soirée où il ne connaît personne, cary a commis l'erreur des réseaux sociaux.
ouvrir la page, cliquer sur une image, puis deux, puis trois. et son visage qui s'imprime derrière les paupières mi-closes. il pourrait hurler de jalousie, pleurer au fond de son lit, frapper son nom sur tous les murs.
mais non.
rien d'autre que les verres d'alcool qui se sont enchaînés.
un premier par lui-même et les rencontres de la nuit ont fait le reste. cary tournoie doucement dans un monde qui n'a pas de portes. il tangue sur ses appuis, commence à avoir drôlement chaud avec sa veste sur les épaules. dessous, il n'a qu'un débardeur.

le coeur en miettes, il s'échoue plus qu'il ne s'assoit sur un tabouret. près du comptoir, il tend une main, tente de héler le barman mais il ne semble plus le voir. cary grogne un peu, finit par porter cette main autrefois tendue contre son visage. le frotte.
réveille-toi.
ça brûle dans l'estomac et la gorge est si sèche !
il soupire, sourit de travers à cet homme venu l'accoster. à quoi est-ce que ça peut bien servir ?
il ne reste plus rien de l'histoire précédente. seulement des bribes d'une douleur qui tapisse les entrailles à ne plus savoir qu'en faire.
alors cary s'échappe. le néon vert indique la sortie de secours et quelques marches suffisent à le mener à l'air libre. là, sur les toits.
la paume qui longe le mur pour ne pas tomber.
les genoux tremblent un peu et le nez levé vers les cieux, cary rencontre le dos de quelqu'un.

il recule d'un pas ou deux, son poste d'observation semble déjà occupé par cet homme.
- voleur d'étoiles.
il murmure.
mais peut-être que l'autre aura entendu.
cary, tout en vrac, est vraiment saoul.

Spoiler:

l'âme en vrac et le coeur en retrait. à quoi bon continuer de cette manière ?
cary ne marche plus très droit, c'est vrai.
fâcheuse tendance à vouloir se faire remarquer quand, pourtant, il possède bien des façons de se faire voir.
l'enfant à l'archet sous le menton, mélodies imprenables qui font rêver, rire ou pleurer. ce soir, les larmes ne coulent pas ; cary se demande s'il y aura autre chose.
puisqu'il est seul, qui pour veiller sur lui ?

soupir qui s'échappe des lippes rosées, les émotions qui suitent de l'échine quand la conversation semble se créer.
surprise sur le visage qui se tourne vers la jeune femme aux traits qu'il distingue dans l'obscurité.
- voilà, c'est ça.
les étoiles.
ces astres qui, paraît-il, sont là pour guider dans les moments les plus sombres de la nuit. est-ce fiction ou réalité ?
les yeux embués par les relents de l'alcool, cary abandonne son dos contre le mur le plus proche. cherche stabilité quand les pieds eux-mêmes ont l'air de tanguer.
il glisse une main dans sa poche, à la recherche d'une cigarette qu'il glisse à sa bouche.
à quoi ressemble-t-il à tenter d'allumer cette barrette ridicule ?
- tu crois qu'elles sont plus belles quand on les regarde d'en haut ?

cary retient un instant la fumée avant de la laisser s'enfuir. se dissiper dans l'atmosphère. il n'aimerait pas se voir en ces quelques minutes. il se trouve si bête et en même temps,
comment faire a u t r e m e n t ?
myocarde palpite sous la poitrine.
- ça doit bien rire de nous.
les pauvres petits humains qui se tortillent sous le poids des sentiments.
un sourire candide habille son faciès pour reporter ses prunelles noisettes sur le visage de la jeune femme. si cary se concentrait, il saurait qu'il la connait. au moins un peu.
à la place, il lui tend son paquet.

@allegra messina

cary y croit à chaque fois
que l'alcool le rendra heureux
mais c'est faux.
à chaque fois, il tombe dans cet espace d'entre-deux où tout semble à la fois si facile et si oppressant. il regarde ceux qui l'entoure d'une faculté omniprésente à tout remettre en question.
cotonneux, oui, mais pas heureux.
la différence est immense quand, le nez levé vers les cieux, il tente de grapiller un peu d'éclat aux étoiles qui peinent à se dévoiler ce soir.
alors cary tourne la tête quand son interlocutrice lui parle d'un endroit où les observer. dit qu'il est encore trop tôt.
- ah bon ?
depuis quand est-ce qu'il boit ?
quelle heure est-il réellement ?

la nausée.
et pour l'empêcher, les doigts farfouillent dans la poche à la recherche d'une cigarette qu'il vient glisser entre ses lèvres. le duo idéal pour ruiner sa santé. ou plutôt peut-il parler d'un trio ? quand l'amour l'a quitté depuis des années.
- j'y suis jamais allé. tu m'y emmènes ?
là-haut, sur les toits de l'empire state building. tutoyer les étoiles, les espérer luisantes dans le creux de ses paumes.
phalanges qui proposent une cigarette finalement refusée. tant pis. ou tant mieux. c'est sûrement elle qui a raison après tout.
ses prunelles de jais ont rejoint les siennes quelques secondes, peut-être assez pour comprendre qu'elle n'est pas très à l'aise. mais cary n'est pas là pour qu'elle le soit. c'est elle qui a engagé la conversation, n'est-ce pas ?
il prête alors attention à sa tenue si propre, soignée, certainement hors de prix. ils sont un peu pareils, se dit-il : à offrir le spectacle de leur aisance pour masquer leur manque de confiance.
- cary.

alors le silence se tisse dans l'obscurité qui les consume. fumée de la cigarette qui se mêle à l'oxygène, s'évade au-dessus des têtes. la musique continue de résonner en arrière-plan.
- pourquoi t'es pas dedans à t'amuser ?
l'interrogation qui remet tout en question. pourtant, il sait très bien cary, que si allegra lui demande 'et toi', il ne lui en offrira qu'un sourire.

@allegra messina

cary n'a plus trop les idées en place.
il commence à faire froid, alors il occupe ses doigts avec cette cigarette qu'il fume. se balance tantôt d'un pied sur l'autre. son autre main s'enfonce dans sa poche.
- je sais ce que c'est, mais j'y suis jamais monté.
pour quoi y faire ? s'il avait su avant que c'est un bon endroit pour regarder les étoiles, peut-être qu'il aurait déjà atteint le sommet.
en tout cas, allegra ne semble pas lui en tenir rigueur - à moins que ce ne soit grâce à l'alcool qu'il ne se rende pas compte de tout ce qui est réellement en train de se dérouler.
la rencontre de leurs regards pour la promesse de caresser les étoiles du bout des doigts. cela suffit à cary pour espérer passer une fin de soirée plus agréable que ce qu'il est en train de vivre. sauf si, sur le rebord de l'empire state building, la nausée revient le surprendre.

il sourit, lui emboite le pas en faisant de son mieux pour aligner un pied après l'autre.
- tu termines des études en quoi ?
l'air frais lui fait du bien. marcher aussi. et parler, certainement. avec elle qu'il ne connaît pas. ils ne se jugent pas. enfin... presque. cary a l'impression qu'ils sont un peu similaires. de beaux vêtements et l'envie d'évasion.
- je suis violonniste.
les doigts abîmés par l'archet.
(et les cuisses, aussi.)
mais ça, c'est un secret.
il relève le nez vers les cieux. ils s'éloignent de la fête. désormais, c'est plus calme. la tête tourne un peu. cary termine sa cigarette, l'écrase sous sa chaussure et la jette dans la poubelle la plus proche. il est toujours debout.

@allegra messina