Ce jour-là, Gabriel avait passé la matinée à l’université pour des réunions administratives particulièrement assommantes. Puisqu’il ne donnait pas de cours dans l’après-midi, il avait décidé de passer rapidement chez lui pour se rafraichir un peu avant de se mettre en direction du pont de Brooklyn. Il avait envie de profiter du reste de la journée pour aller se balader un peu, partir à la découverte d’un espace inspirant pour faire quelques croquis. Gabriel n’avait pas le moral depuis plusieurs semaines déjà. La peur le rongeait de l’intérieur, accentuant son anxiété chaque jour qui passait depuis que son meilleur ami était parti. Il ne dormait presque plus et passait son temps à repasser le fil des évènements dans sa tête. Il devait absolument se tenir occupé pour ne pas perdre la tête. La culpabilité était parfois si forte qu’il en faisait des crises de panique, même plus de deux mois après son décès. Gabriel ne parvenait pas à faire son deuil… et comment aurait-il pu? Il n’y avait même pas eu de funérailles puisque techniquement, Caleb était toujours considéré disparu. Mais Gabriel savait avec certitude que jamais il ne reverrait son ami vivant.
Une fois arrivé dans le quartier de Brooklyn, Gabriel avait trouvé un emplacement pour stationner sa voiture et était parti à pied pour en arpenter les rues verdoyantes, calepin et crayons bien rangé dans son sac messager. Il était bientôt midi et il commençait à avoir faim. En marchant, il tomba devant l’enseigne d’un restaurant dont il avait entendu parler, mais n’avait jamais eu l’occasion d’essayer, le restaurant italien
Armando’s. En plus, il y avait justement une promotion sur leur spaghetti à la bolognaise. Voilà, c'était décidé, c’est ici qu’il ferait une pause le temps de se sustenter.
Il n’avait pas de réservation, mais sur l’heure du lunch, ça ne devrait pas causer de soucis. Un serveur l’accueilli donc dès son arrivée et après s’être enquis du fait qu’il serait seul, le dirigea vers une table située près d’une fenêtre. L’endroit était charmant et les effluves qui flottaient dans l’air lui confirmèrent qu’il avait bien fait de s’y arrêter. On lui remit la carte qu’il feuilleta pour la forme, car son choix avait été fait dès son arrivée : le spaghetti à la bolognaise. Il se commanda également un verre de vin rouge pour accompagner le tout. La consommation régulière d’alcool était son remède pour passer à travers ses journées, même si l’effet dépresseur qui en résultait n’aidait en rien son état par la suite. Il s’agissait d’un véritable cercle vicieux. Malgré tout, il arrivait encore à se tenir en public la plupart du temps et ses collègues ne semblaient pas avoir remarqué quoique ce soit, fort heureusement. Ce n’était pas le temps d’éveiller les soupçons.
Gabriel sorti de son sac son calepin à dessins ainsi qu’un crayon et commença à griffonner en attendant qu’on lui apporte son plat. Il y avait une dame âgée assise deux tables plus loin et elle ferait un sujet parfait pour son croquis. Il était enfin dans son élément, absorbé par les traits de crayon d’apparence désordonnés qu’il s’afférait à tracer sur le papier.