Do this for me

Ce n’est pas la première que tu fais ça. Pourtant, d’une certaine façon, ça l’est. Amadouer quelqu’un, faire en sorte qu’il agisse comme tu le souhaites, qu’il ait l’envie – parfois même l’envie démesurée – de te faire plaisir, qu’il n’hésite pas à se comporter comme il ne l’aurait probablement jamais fait sans ton intervention… Ce genre de chose, tu en as l’habitude, Silho. Tu adores ça. Avoir le pouvoir. Mieux encore, avoir du pouvoir sur les autres. Sentir que tes mots pèsent, que tes paroles ont de l’importance. Voir dans les yeux de ton interlocuteur que tu comptes, que tu comptes vraiment. Cependant, dans ce bar, alors que tu converses d’un sujet pouvant passer pour étrange avec un ami, tu n’es pas aussi à l’aise qu’à ton habitude. Tu penses que cela tient au rôle que tu te dois d’avoir pour obtenir de Lelio ce que tu désires, mais tu comprendras plus tard que ce n’est pas que cela. Tu veux qu’il t’obéisse. Tu veux toujours qu’ils – hommes et femmes intelligemment sélectionnés – t’obéissent. Tu veux qu’ils t’appartiennent. Tous. Et surtout lui. Tu n’es pas en mesure de l’assimiler sur l’instant, tu mets la sensation bizarre que tu ressens sur… Sur tu ne sais quoi, mais certainement pas sur un sentiment plus fort que pour tes autres brebis. Non. Le jour où tu aimeras vraiment, ce ne sera pas une traînée. Ou une future traînée en l’occurrence. Ce gamin n’est qu’un moyen d’obtenir de l’argent, du pouvoir et une aura. Si tu veux qu’ils t’appartiennent tous, tu veux surtout mettre cette ville à tes pieds. Tu vois grand Silho, et Lelio n’est qu’un faire-valoir, un objet dont on se sert, qu’on espère pouvoir utiliser longtemps car il est indéniablement de qualité, mais ça ne reste qu’une chose. Presque. Une chose, un peu plus importante. Ton cerveau se ferme totalement à cette possibilité, et, petit à petit, tu redeviens celui qu’il a toujours connu.

Tu n’écoutes pas le début de sa protestation, lui coupant la parole en l’abandonnant dans la chambre tandis que tu t’enfermes un instant dans la salle de bain. Tenant au courant ton client, tu t’inquiètes tout de même de la rapidité à laquelle le jeune homme se trouvant dans la pièce d’à côté à accepté. Et si… Ouai, merde, et s’il se rendait compte de ce qu’il venait de te proposer ? Il a essayé de te parler avant que tu rentres dans cette salle d’eau, non ? Peut-être, tu ne l’écoutais pas vraiment.

Ce n’est pas le moment de tergiverser, alors tu rouvres la porte en te montrant confiant, demandant comment il compte s’y prendre afin de te détendre. Après tout, c’est lui l’expert ! C’est lui qui t’a proposé son aide sans sourciller malgré la teneur de ton embarras. Il aurait pu te dire d’aller trouver une solution ailleurs, mais il s’est porté volontaire pour te montrer la marche à suivre. Cette perspective te plaît, et tu en viens presque à espérer que ton client se casse une cheville dans les escaliers en vous rejoignant. Merde, Silho, tu dérailles totalement ! Tu vas faire comme à ton habitude, surtout avec tes brebis mâles, et tu vas le laisser s’occuper un peu de toi avant d’accueillir le véritable bénéficiaire de ses services.

Mais le brun te prend au dépourvu. Son étonnement te renvoie à ce que tu craignais. Il fait machine arrière. Il se pose des questions et… Il te fait un aveu déconcertant. Pas si déconcertant que cela. Tu as tout fait pour que des sentiments naissent, et tu ne peux pas dire que tu doutais de tes capacités à réussir, ni que tu n’en aies jamais aperçu au fond des prunelles du jeune adulte. Alors pourquoi est-ce que tu restes planté comme un idiot ?

Tu as stoppé tes pas, et tandis que ta gorge se retrouve libérée de l’étau d’un col de chemise, tu défaits doucement les boutons d’une de tes manches pour mieux faire rouler le tissu sur ton avant-bras. Finalement, après avoir observé le brun quelques secondes, tu brises la distance, te rapprochant jusqu’à te saisir de son skateboard que tu fais glisser dans un coin de la pièce. Seul le bruit des roues brise le silence, puis tu te redresses, plongeant tes iris dans ceux de ton vis-à-vis, « Tu es trop mignon quand tu rougis. ». Ta paume se lève, se pose sur sa joue et tu caresses doucement sa lèvre inférieure de ton pouce. À l’intérieur, tu bouillonnes ! Il est en train de te planter… Si tu t’écoutais, tu lui écraserais la tête contre l’oreiller avant d’appeler ton client pour activer les choses, mais ce n’est pas franchement dans tes habitudes. Toi, tu préfères quand chacun pense que tout est parfaitement en ordre, que chaque partie est en accord avec ses actes et que le consentement est tout à fait de rigueur. « Je… Je suis désolé, je n’aurais jamais dû te demander cela. », le gamin hésite, alors qu’il y a quelques minutes seulement, il était convaincu de vouloir t’aider. Mais à ce moment-là, tu avais un autre visage Silho. Et si le secret, c’était ça ? Et s’il tenait vraiment à t’aider, mais uniquement s’il te voit dans le besoin ? Peut-être a-t-il ce satané complexe du héros. Peut-être veut-il te sauver. Si c’est le cas, tu dois conserver tes airs de pauvre petit mec désabusé et paumé par ce qui lui arrive. « Je n’ai pas l’intention de te laisser prendre ma place, Lelio... », bien sûr que si, parce que c’est la sienne depuis le début et que tu espères bien que, une fois lancé, il ne saura plus dire non afin de t’aider, « Je pensais que… Enfin, comme tu l’as proposé, je me suis dit qu’avec toi… En premier, ce serait plus facile, plus… Que ce serait beau, vois-tu. ». Tu as replacé ton masque rempli de doutes, persuadé que c’est ce qu’il faut pour réussir à le convaincre. Ton pouce délaisse sa lèvre, ta main englobant sa mâchoire tandis que tu rapproches encore un peu ton corps du sien, « Si j’avais su ce que tu ressens… ». Quoi ? Si tu l’avais su, qu’aurais-tu fait autrement ? Rien de tel qu’un mystère pour augmenter le côté dramatique du moment !

Tes pupilles dégringolent jusqu’à ses charnues, ton visage se penche légèrement puis tu simules un petit frisson. C’est comme si ce dernier venait de te faire remettre les pieds sur terre. Tu te recules, gardant que très peu d’espace entre vous, « Ne t’en fais pas, je comprends. Je… Je vais me débrouiller. ». Un dernier tout petit et léger effleurement de la pulpe de ton doigt sur ses lèvres et tu fais un pas en arrière, « Je te recontacterais dans quelques jours. Après que mes affaires soient réglées et que je puisse à nouveau me regarder dans un miroir, on parlera, ok ? On parlera de tes sentiments, et de… Nous. ». Tu vas peut-être un peu loin, là, Silho… Qu’importe, tu penses à ce type qui, d’ici une quinzaine de minutes, va venir frapper à la porte et te réclamer son dû. Si Lelio part maintenant, tu vas devoir le rembourser, et clairement, ça te ferait royalement chier. « Je… Je n’aurais vraiment pas dû te demander ça, je… Pardonne-moi. », un peu plus de tressautement dans la voix… Tu es presque à deux doigts de te mettre à pleurer ! Il ne te reste plus qu’à croiser les doigts en espérant avoir visé juste. Miser sur ton désarroi et sa difficulté à te voir si mal, ce n’est peut-être pas la meilleure de tes idées !


   

Do this for me

Tu n’as jamais aimé les changements d’attitude. Cependant, tu es passé maître dans cet art. Il t’est indispensable afin de parvenir à obtenir ce que bon te semble. Alors, tu n’as aucune hésitation à montrer un visage versatile si cela peut t’aider à arriver à tes fins. Et, à l’heure actuelle, ce que tu désires vraiment, c’est de voir Lelio devenir l’un des petits bonshommes sous ta coupe. Tu l’as compris au premier coup d’œil, ce petit vaut de l’or et l’or, tu aimes ça. Mais s’il t’a fait une si grande impression, tu te dois de vérifier ton pressentiment. Parfois, tes intuitions se trompent, et contrairement au pouvoir, tu détestes ça.

Quand Lelio se met à douter, il te faut agir. Tu es persuadé d’avoir décelé sa faille : ce qui l’a poussé à se proposer de lui même de te venir en aide, c’est de te voir si démunie face à la situation. Le Silho confiant n’a donc plus sa place, tu dois impérativement retrouver ce masque d’incertitude que tu lui as montré à la table de ce bar. S’il n’y a que cela pour le faire flancher à nouveau… Tu te prêtes au jeu sans tergiverser des plombes. Parce que du temps, tu n’en as pas tant que ça. Ton client ne va pas tarder à rappliquer, il doit te rester une dizaine de minutes pour réussir à convaincre le jeune homme de retrouver ses esprits afin qu’il s’offre au futur que tu lui vas lui tendre sur un plateau.

Tes doigts sur sa peau te procurent une sensation que tu ne connais pas vraiment, et que, avouons-le, tu préfères ne pas trop analyser. La pulpeuse que caresse doucement ton pouce, tu la fixes. Tu l’observes nettement plus longtemps que tu ne l’as jamais fait avec un autre de tes pions, mais tu n’es pas prêt à en tirer les bonnes conclusions. Pour l’instant, ce n’est qu’un regard plus appuyé qu’à la normal, qu’un frisson que tu penses simuler et qu’un embarras feint. Il n’y a rien de réel dans les émotions que tu devrais déceler en toi, tout n’est que rôle que tu dois tenir. Rien que ça. Que ça.

Un fin sourire se dessine sur tes lipes. Ta mascarade fonctionne. Tu peux voir les joues de Lelio se parer davantage de rouge et, avant de répondre à sa question, ton regard devient intentionnellement fuyant, « Je n’ai aimé que des femmes oui. Pourtant... ». Tes yeux se relèvent vers les siens tandis que tu appuies légèrement sur ses lèvres comme pour mieux sentir son souffle venir percuter ton derme, « Les sentiments sont parfois quelque chose de compliqué Lelio. Je ne crois pas qu’il faille se mettre de barrière à ce propos. ». Ton côté psychiatre ressort, tu pourrais débattre des lustres sur ce sujet, mais ce n’est clairement pas le moment. Ni le lieu. Ni le bon interlocuteur.

Lorsque tu te penches vers lui, tu ne peux retenir une réflexion, « Ne rougit pas, il n’y a aucun mal à dire ce que tu penses ou ce que tu ressens. ». Encore ton âme de psy… Puis tu te recules en abandonnant tout contact, parce qu’il le faut. Parce que, de ce que tu lui dis, tu refuses de lui imposer cette décision qu’il a prise. Tu es prêt à te débrouiller seul face à ce créancier inexistant ; tu t’excuses. Tu manipules, Silho.

Tu excelles dans ton domaine, et cette fois encore, tu obtiens ce que tu veux. Tu peux l’entendre te questionner. Tu te contentes de hocher la tête, honteux de devoir lui demander une telle chose devant l’insistante pressante de celui à qui tu dois hypothétiquement de l’argent. Et, enfin, il retombe dans le piège. Rapidement, tu te sens attiré à lui, ses lèvres venant se plaquer aux tiennes. Tes yeux s’écarquillent un instant, jusqu’à ce que tes paumes glissent sur ses hanches pour s’agripper et que tu laisses un soupir s’échapper au milieu de ce baiser. Ce n’est pas trop tôt ! C’est que les secondes et les minutes défilent, et que tu commençais vraiment à croire que tu allais faire chou blanc…

La prochaine fois ? Il te demande de le prévenir à l’avance. Ok. Pas de problème. Tu le préviendras à chaque client suivant. C’est lui qui te le demande après tout ! Tu ne feras que respecter son vœu. Comment ça, ce n’est sans doute pas ce qu’il a voulu dire ? Tu t’en moques pas mal, « Je te sauverai mille fois s’il le faut. ». Maintenant qu’il t’a avoué avoir des sentiments naissant, tu es libre de t’en servir, et puis, en plus de ça, tu ne peux pas lui promettre qu’il recevra une missive avec accusé de réception pour les fois prochaines. Parce que, des promesses, tu en fais rarement, et les quelques que tu fais, tu les tiens. En l’occurrence, tu sais que ce serait un mensonge.

Un autre baiser. Le second. Tes lèvres picotent, mais pas autant que ta peau qui est effleurée tandis que les boutons de ta chemise sautent les uns après les autres. Tu le laisses mener la danse. Il est le plus expérimenté dans ce que vous êtes en train de vivre. Du moins, c’est ce qu’il pense… Cette étape, tu l’as déjà vécu à maintes reprises avec de précédentes recrues, féminines ou masculines. Le plus important est qu’il y croit. Alors tu te laisses guider jusqu’à ce que le lit se trouve dans ton dos, juste derrière toi. Une fois encore, tu refuses de te l’avouer, mais ce que tu sens crépiter au fond de ton bide, c’est bien plus fort que d’habitude. Ton ventre se crispe quand tes lèvres retrouvent leur liberté, et tu te surprends même à faire un léger mouvement en avant comme si tu en redemandais. Ce sont les doigts sur ta ceinture qui font te stopper, comme si le cliquetis de la boucle venait de te figer sur place.

C’est un long souffle qui s’extirpe de ta gorge quand tu sens une douce caresse sur ton entrejambe. Tes prunelles commencent à s’embrumer, tes idées se floutent alors que tu réponds sérieusement, « Pas de retour en arrière. ». Tu t’étonnes toi-même ; tes phalanges attrapent le tee-shirt face à toi, et, à ton tour, pour la première fois depuis ce rapprochement orchestré, c’est toi qui inities le baiser. Vos langues dansent sans que tu ne saches réellement durant combien de temps avant que tu n’apposes avec le plus de délicatesse possible ta paume sur sa joue, encerclant sa mâchoire de tes doigts pour le regarder timidement dans les yeux, « Allons-y doucement, d’accord ? ». Tu ne veux pas brûler les étapes. Pour la simple et bonne raison que tu n’as pas l’intention d’aller plus loin que nécessaire. Ton client va bientôt arriver, et il faut tout bonnement que tu vérifies que Lelio sache s’y prendre… Ce qui, au vu des dernières secondes, semble être parfaitement le cas.

Tu profites encore un peu de l’étreinte. Des caresses qu’il te prodigue et du plaisir - presque frustrant par la finalité trop rapidement interrompue - que tu en retires quand, soudainement, quelqu’un toque à la porte.

« Keegan, vous êtes là ? », la voix transperce le bois et tu expires profondément.

Le chronomètre est écoulé. Lelio a fait en parti ses preuves, il ne lui reste plus qu’à assumer ses paroles et aller au bout de sa proposition. Mais avant cela, tu dois continuer à tenir ton rôle d’homme inquiet pour la suite. C’est la condition sine qua non pour la réussite de ton enrôlement.

« Lelio, je... », passant une main dans ses cheveux, tu lui sers un sourire désolé et un air apeuré. Tes yeux peinent à se fixer pendant que tes doigts tremblants quittent le jeune homme pour remettent en place ton pantalon défait. Ta respiration est rapide après l’instant que vous venez de partager, et c’est d’une petite voix que tu ajoutes, « C’est lui, je… Tu peux encore partir si tu le souhaites. Je peux… Je peux le faire moi-même et on se retrouve plus tard. ». Une fois encore, tu joues au chevalier servant ne souhaitant que le protéger, pourtant, tu n’espères qu’une seule chose, et c’est qu’il opte réellement pour l’inversion des rôles aujourd’hui. C’est son moment, celui où il peut commencer à rembourser ce qu’il te doit. Celui où il peut, enfin, te rendre un millième de ce que tu as fait pour lui depuis votre rencontre. C’est à son tour de te sauver.