Je me suis couché tard hier soir, avec les collègues, nous avons décidé d’aller boire un verre au bar à côté de CBS pour célébrer le départ en retraite d’une collègue à nous. Je n’ai pas vraiment vu les heures passées, nous avons parlé, bus, peut-être un peu trop et fait des petits jeux. Dans l’ensemble, c’était une bonne soirée, tout le monde s’est amusé, c’est le principal. J’ai bu un peu plus que de raison, mais bon ça n’arrive pas si souvent. Je suis rentré chez moi vers 1h30 du matin. Je ne sais même pas comment j’ai fait pour mettre la clé dans la serrure et fermer ma porte après. Heureusement que je n’ai pas conduit, je n’aurais pas été en état de rentrer à la maison. J’entends mon téléphone qui émet un son lointain pour me dire que j’ai un message. Je grogne un peu en essayant d’ouvrir les yeux. C’est assez compliqué ce matin, je me sens fatigué, j’ai un mal de tête assez important, la bouche sèche, pâteuse. Les rayons du soleil qui pénètre dans ma chambre me font mal et accentue le mal de tête. Je gémis de douleur et mets un coussin sur ma tête pour bloquer cette lumière et essayer de calmer mon mal de tête. Après quelques minutes à faire le point sur ce que je ressens, je décide de bouger pour essayer de trouver mon téléphone portable. La question maintenant est de savoir où il est. Je m’assois dans mon lit et le trouve au pied du lit. Comment est-il arrivé là ? Je ne sais pas du tout. Bonne question. Tout ce qui s’est passé quand je suis rentré et flou. Quelle idée d’avoir abusé de la boisson. Heureusement, je ne travaille pas aujourd’hui. Je prends mon téléphone en tenant mettant mon autre main sur mon front à cause du mal de crâne. Je le déverrouille et la lumière m’agresse les rétines. Mais quel con, ce n’est absolument plus de mon âge de boire autant. Il va falloir 3 ans pour m’en remettre maintenant. Je plisse les yeux pour lire qui m’envoie un message tôt et je vois que c’est mon frère jumeau. Aussitôt, je suis plus alerte et j’ouvre le message rapidement. Je pousse un soupir quand je vois qu’il veut juste emprunter ma douche. J’ai eu peur qu’il lui soit encore arrivé quelque chose de grave. Il y a peu de temps, nous avons failli le perdre et je ne veux même pas y penser. Le fait qu’il aurait pu mourir dans cet incendie, ce n’est pas possible. Mon frère, c’est toute ma vie, c’est mon binôme, mon double, mon meilleur ami. Je l’aime tellement. Il est tellement adorable, parfait, drôle (enfin lui, il pense qu’il est drôle), gentil. Je lui ai dit plusieurs fois que je pouvais l’héberger chez moi, qu’il pouvait emprunter mes vêtements au cas où qu’il puisse passer quand il veut et prendre une clé. Il n’a jamais accepté. Je sais qu’il est plutôt fier, mais je n’aime pas le savoir sans rien dans ce campus ou même juste livré à lui-même. Mes parents ont essayé aussi de le raisonner, mais il n'y a rien à faire. C’est une vraie tête de mule quand il s’y met. On l’aide comme on peut, je lui ai dit plusieurs fois que j’étais là s’il avait besoin de quelque chose. Je lui ai répondu tout de suite qu’il pouvait venir pour prendre une douche, bien qu’elle risquait d’être froide. Denis me répond presque aussitôt en me disant qu’il arrivait dans un taxi et non avec son BMX. Il m’a expliqué qu’il s’était foulé la cheville et qu’un pompier l’avait aidé. Denis est un aimant à ennui, j’ai l’impression. Le pauvre n’a pas vraiment de chance, en espérant que la chance tourne pour lui et qu’il soit plus heureux. Je me suis précipité dans la salle de bain, enfin précipité est un bien grand mot. C’est en arrivant devant mon miroir que j’ai vu que je portais les mêmes vêtements qu’hier. « Putain, le con… Je me suis endormi comme ça. Le boulet. » Dis-je en me regardant dans le miroir. J’en ai marre des fois de moi. J’enlève le jean, le polo, les chaussettes, le boxer et je mets tout dans la panière à linge sale. Je m’en occuperait tout à l’heure. Je monte dans la douche et j’ouvre l’eau. Un grand jet d’eau froide vient glisser sur ma tête et mon corps. « AHhhhhhhhhhhhhh Putain… » Je déteste l’eau froide. Je me mets loin de moi le pommeau de douche et je règle la température. Une fois que c’est plus chaud, je lave mon corps et mes cheveux. Une dizaine de minutes plus tard, je sors de la douche et me sèche. Je mets ma serviette autour de moi et je vais dans la chambre. Je choisis un boxer noir, un short de plage bleu et un t-shirt rouge bordeaux. Rien ne va dans l’accord des couleurs, mais je m’en tape. Je ne vais pas faire de défilé de mode. Je sèche encore une fois mes cheveux quand j’entends mon téléphone sonner. Il est posé sur mon lit et je le prends. C’était Denis, qui me disait qu’il était devant la porte. Je jette la serviette par terre et me précipite pieds nus en bas pour lui ouvrir. J’ai manqué de glisser devant l’entrée de la maison. J’ouvre la porte en souriant et je ne vois pas mon frère. Je baisse mon regard et je le vois assis au sol devant la porte. Je fronce tout de suite les sourcils. « Hé, tu vas bien ? » J’étais inquiet pour lui. « Pourquoi ne m'à tu m’as appelé pour dire que tu serais là dans 5 minutes ? Je t’aurais aidé à sortir du taxi. Tu es incroyable à ne pas vouloir d’aide. » Ce n’était pas un reproche bien sûr. Je ne voulais pas qu’il tombe dans l’aller et se fasse mal. J’ai pris délicatement son bras et je l’ai aidé à se relever. J’ai passé son bras par-dessus mes épaules et je l’ai soutenu pour le faire rentrer et pour pas qu’il s’appuie sur sa cheville foulée. « Purée, tu en as pris du poids toi. Tu es lourd. » Je le tire vers le salon pour le mettre sur le canapé. « Ça va ? Tu veux en oreiller pour mettre ta cheville dessus ? Tu veux de la glace quelque chose ? » Je ne voulais pas qu’il se fasse plus mal. « Tu peux poser ton pied sur la table basse si tu veux. » Je lui fais un peu de place parce que c’était un peu le bordel. « Comment vas-tu ? Comment tu t’es fait ça ? Est-ce ce que je dois aller réduire en bouillie la personne qui t’a fait du mal ? » Je commence à faire comme si je battais quelqu’un. Bien sûr, je ne ferais pas vraiment le poids dans une bagarre, mais pour mon frère, je suis capable de tout faire.  

Le jour où j’ai appris que l’appartement de Denis était en feu et qu’il avait été sorti in extremis, j’ai cru que j’allais devenir fou. J’annonce des catastrophes tous les jours quand je suis aux manettes du journal télévisé le soir. On essaie de prendre cela avec un détachement, même si certaines fois ça nous prend aux tripes. Ce n’est pas pareil, ce sont des gens qu’on ne connaît pas, bien que j’ai énormément de compassion pour eux. Quand c’est notre famille, des êtres qui nous sont chers ce n’est absolument plus pareil. C’est comme si mon monde s’était effondré. Une sorte de gouffre qui s’est ouvert sous mes pieds et qui m’a englouti. Dans ces cas-là, on ne pense plus à rien, on ne raisonne même plus normalement. On est en panique, on peut faire d’ailleurs n’importe quoi. Mon premier réflexe ça a été de prendre mon téléphone et de vouloir l’appeler, mais bien évidemment, il était à l’hôpital. J’ai rejoint les parents chez eux. Je revois ma mère qui était paniqué et effondrée et mon père aussi. Cette image restera à jamais gravée dans ma mémoire. Heureusement pour nous, Denis s’en est sorti, même s’il n’était pas à 100% au mieux de sa forme. Il est là avec nous et c’est le principal. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais perdu mon jumeau. Denis, c’est mon double, mon meilleur ami, mon confident, mon frère. C’est une personne que j’aime plus que tout et pour qui je donnerais ma vie sans hésiter. Je veux le meilleur pour lui, je veux qu’il s’en sorte et j’essaie de l’aider autant que possible, mais c’est une vraie tête de mule parfois. Si quelqu’un touche à mon frère, je ne cherche même pas a comprendre, je rentre dedans. Si quelqu’un le fait pleurer, pareil, je rentre dedans, si quelqu’un lui fait du mal, je rentre dedans. Je ne suis absolument pas bagarreur. J’aime plus utiliser le dialogue que mes poings, mais pour ma famille il n’y a aucun dialogue et que des coups. J’ai aidé Denis comme j’ai pu un ou deux jours, mais il est chiant. Il ne veut pas d’aide et veut se débrouiller tout seul. Ça peut m’agacer parfois. Il sait très bien que je peux l’héberger le temps qu’il veuille et qu’il ne me doit rien. Il peut faire sa vie tranquillement. Je sais que chez les parents, c’est plus contraignant parfois. Des fois, j’ai envie de lui hurler dessus pour lui dire de venir habiter avec moi. Il ne me dérange pas du tout et il le sait très bien. Je l’ai trouvé devant la porte de chez moi assis. Évidemment notre cascadeur professionnel préféré a encore loupé une cascade en se foulant la cheville. Je pense qu’il va devoir changer de métier à un moment donné. Denis ne sait pas faire les choses à moitié, c’est tout ou rien avec lui, mais on l’aime comme ça et on ne l’échangerait pour rien au monde. Évidemment le voir comme ça sur le pas de ma porte m’inquiète. Je déteste le voir mal. Je lui dis qu’il aurait pu m’appeler quand il est sorti du taxi et qu’il est monté dans mon allée. Il me dit qu’il ne veut pas m’embêter. « Arrête avec ça Denis ! Arrête. » Dis-je sérieusement. Ça m’énerve quand il dit ça. Je l’aide à se relever et on marche jusqu’au salon. « Tu sais très bien que tu ne m’embêtes pas. Je veux t’aider, mais tu es trop têtu à chaque fois. Je ne sais pas quand tu vas comprendre qu’on est là pour t’aider. » Je ne sais pas comment lui faire comprendre qu’il ne gêne pas. Je veux l’aider. S’il faut que je gueule après lui, j’hésiterai pas une seconde. Tout en le portant, je suis fait un petit compliment made in Gibson. Sa réponse me fit rire. « Que du muscle ? Hahaha, mais bien sûr. Les tables de chocolats, c’est plus ceux que tu bouffes que ce que tu as mon frère. » Je le traîne dans la maison et sur le canapé. Je le pose sur le canapé pour qu’il soit le plus a l’aise possible et ensuite, j’enlève ce qu’il y a sur la table basse. Et je lui pose des questions pour savoir comment il va et si je dois taper quelqu’un pour sa cheville. J’essaie un peu de dédramatiser le truc, mais bon, j’irais me battre s’il le faut. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que mon frère me tire sur le canapé. « Héééééééééééé. » Dis-je en tombant. Puis Denis se jette sur moi et me fait un câlin. Je fais semblant de me défendre contre cette attaque en faisant bien attention à lui. Puis au bout de quelques secondes, je cède et je mets mes bras autour de lui et je l’enlace. C’est l’un des meilleurs endroits les bras de mon frère. Ça me rappelle la maison, la famille. Je ferme les yeux un peu et me détends. Il me dit de ne pas m’inquiéter et qu’il est maladroit. Il me parle du fameux pompier et se défait de l’étreinte pour me montrer sa cheville. « Jerahmeel hein ? C’est lui le fameux pompier ? » Je me redresse mieux sur le canapé et je regarde sa cheville. Il y a un beau bandage. « En-tout-cas, il a fait un bon travail. » Je souris. Bon après, je ne m’y connais pas beaucoup, mais le bandage est vraiment bien mis. Je suis content de voir qu’il n’y a que sa cheville ou ça ne va pas et qu’il a l’air en forme. Il m’explique comment ça, c’est passé et qu’on l’a bousculé. « Va falloir qu’on retourne courir à un moment donné hein. Tu ne tiens même pas sur tes jambes. » Je lui fais un clin d’œil. « Heureusement d’un sens que tu étais à la caserne quand c’est arrivé. Ce gentil pompier t’a « sauvé » une deuxième fois. » Ce pompier est vraiment l’ange gardien de Denis. « Tu me le présenteras un jour que je le remercie pour tout ce qu’il a fait pour toi. On lui doit énormément et je serais éternellement reconnaissant de ce qu’il a fait. C’est ton ange gardien. » Heureusement qu’il était là ce fameux pompier. J’ai vraiment hâte de le remercier. « Va falloir que tu fasses plus attention à toi, Denis. On n’a pas failli te perdre. L'entorse, la dernière fois le feu. Qu’est-ce que je vais faire si je perds ma moitié ? » J’ai une boule dans la gorge en disant. J’ai les larmes aux yeux. Je me lève d’un bon et me racle la gorge. « Qu’est-ce que tu veux à boire ? Café ? Thé ? Eau ? Jus d’orange ? » Je change vite de sujet. Je ne veux pas penser à ce qui serait arrivé si Denis n’était plus là. Je me dirige vers la cuisine qui donnait sur le salon et j’ai pris un verre pour moi. « A moins que tu veux de la bière ? Mais le matin, c’est chaud. » Mais bon, des fois ça ne fait pas de mal.