Branle-bas

Feat @Ellen Baldwin et @Gabriel Dixon

Jeudi, 15h30. Assis sur le coin de son bureau, Gabriel donnait ses instructions pour l'exercice du cours d'aujourd'hui aux étudiants installés en cercle devant lui, chacun devant son chevalet. Les étudiants avaient trois heures pour produire une œuvre abstraite qui, par l'utilisation de la couleur et de différents outils à leur disposition pour étendre la peinture sur la toile, exprimerait leurs émotions. S'en suivrait un échange entre les participants, un jeu de devinette, afin de voir si les étudiants étaient parvenus à se faire comprendre de leur pairs.

L'art de la peinture, ce n'était pas qu'un passe-temps servant à créer de jolies choses à accrocher aux murs. C'était un véritable moyen d'expression, de communication, parfois plus fort que les mots. Plus l'œuvre était accomplie, aboutie, réfléchie, travaillée, plus le message était fort et pouvait être compris par la personne qui regarde. Créer une œuvre vraie et sincère n'était pas donné à tous. Il fallait puiser au plus profond de soi et ne pas craindre ce qu'on allait y trouver. Plus l'artiste était honnête envers lui-même, plus l'œuvre avait des chances d’être réussi.

En général, les œuvres ne furent pas très originales, l’utilisation du rouge pour l'amour, le bleu pour la tristesse, des banalités du genre. Bien honnêtement, c’était un peu décevant pour des étudiants en dernière année. Enfin, c’était surtout un exercice exploratoire, ludique, donc Gabriel ne leur en tint pas rigueur. Néanmoins, il aurait aimé que ses étudiants osent davantage en utilisant des outils autre que les pinceaux puisque que tant d'objets avaient été disposés dans la salle pour faire travailler un peu plus leur imagination : éponge, peigne, gratoire, spatule, papier, etc.

Somme toute, les œuvres étaient malgré tout intéressantes et les étudiants avaient semblé apprécier l'exercice. Gabriel ferait un retour en classe la semaine suivante en leur présentant l'œuvre qu'il avait lui-même peint, avec les mêmes contraintes qu'eux, le tout afin de leur faire voir l'étendu des possibles et leur exposer un peu la théorie dernière l’exercice.

Le cours tirait déjà à sa fin, les toiles finiraient de sécher pendant la nuit, sagement posées sur leur chevalet. Gabriel s'afférait à ranger les pinceaux et autres outils, puis les tubes de peinture. Le plancher aurait besoin d'un bon coup de serpillère, mais il laisserait cette tâche aux personnes chargées de l'entretien des locaux. Les étudiants quittaient pour la soirée les uns après les autres, saluant Gabriel juste avant de passer le pas de la porte. Dans ce brouhaha, il ne remarqua pas tout de suite cette étudiante, discrète, tout au fond de la salle. Comment aurait-il pu la remarquer? La demoiselle était plutôt réservée et n’avait d’ailleurs pas participé à la période d’échange après l’atelier.

Déjà plusieurs minutes s'étaient écoulées depuis la fin de son cours, il était presque 19h00. Il n'était pas pressé, mais tout de même, il avait hâte de manger un morceau et rentrer chez lui. Enseigner lui ouvrait toujours l'appétit. Gabriel releva la tête pour s'assurer que sa classe était vide avant de ramasser ses affaires et quitter en barrant derrière lui. Il réalisa alors qu'une étudiante s’affairait toujours à nettoyer ses pinceaux, debout devant les éviers.

Il s’approcha dans sa direction afin de jeter un oeil à sa toile puisqu’il n’avait pas pris le temps de tous les observer encore. L’étudiante n’avait pas encore pris conscience que Gabriel était maintenant rendu tout près d’elle, occupé à observer son œuvre.

- Et bien, et bien, voilà enfin quelqu’un qui a compris l’exercice que j’ai demandé…!, exclama-t-il, portant sa main à son menton.

- Mais dite moi donc, mademoiselle Baldwin, pourquoi ne pas avoir participé à l’échange tout à l’heure? C’est vraiment une œuvre très complexe que vous avez réalisé. Cet aplat de couleur juste ici… et les traits un peu plus bas… Wow, très impressionnant. Le jeu de couleur est surprenant, mais en même temps totalement en phase avec le mouvement que vous avez créé ici…

Songeur, il continuait d'observer la toile, négligeant même d’adresser un regard à Ellen qui se trouvait à quelques mètres derrière lui, près des éviers. Il y aurait tant à dire encore, mais il avait envie d’entendre ce qu’elle avait à partager.

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Totalement perdue dans ses pensées, Ellen n’entendit pas les pas de son professeur doucement s’approcher vers elle. Ce fantasme était ridicule et puéril et pourtant, elle commençait à imaginer l’homme contre sa nuque, ses mains sur ses hanches… L’eau coulait sur ses mains, effaçant au fur et à mesure toute trace de peinture.

Alors qu’elle s’apprêtait enfin à éteindre l’eau, se rendant compte de sa rêverie idiote, elle l’entendit lui parler. Elle sursauta et éteignit l’eau, ses pinceaux dans ses mains. Elle se figea un instant, écoutant son professeur qui semblait ravi de ce qu’elle avait produit pendant ce cours. Ce n’était pas la première fois qu’on la complimentait sur son travail et sur ses « œuvres » mais quand c’était lui, elle ressentait des frissons à chaque fois. Elle prit une profonde inspiration et se retourna lentement pour lui faire face, essuyant ses mains sur un chiffon déjà taché de peinture. Ses yeux brillaient d'une lueur hésitante, mélange de fierté et d'incertitude.

Il lui tournait le dos, ce qui était plutôt bon pour elle qui se sentait rosir. Au bout de quelques secondes, elle se décida à lui répondre. « Je suis plus à l’aise avec les pinceaux qu’avec ma bouche. » commença-t-elle avant de se rendre compte du deuxième sens que l’on pouvait accorder à sa phrase. Un lapsus ?
Rougissant et portant sa main à son visage elle tenta de se rattraper. « Enfin non mais … pour exprimer ce que je ressens, je suis toujours passée par l’art… Je ne suis pas à l’aise pour parler en public. » conclut-elle tout en s’avançant vers son chevalet et sa mallette.
Elle se sentait terriblement mal à l’aise à présent et reposait fébrilement ses pinceaux pour les ranger. « C’était un exercice intéressant mais ce n’est jamais facile de se mettre à nu. » ajouta-t-elle, les yeux baissés tout en refermant sa mallette. C’était comme chanter sous la douche ou bien écouter des musiques inavouables pour se ressourcer, pour pleurer, pour évacuer. Ce genre d’exercice relevait de l’intime si on se prenait au jeu et c’était tout aussi difficile que le résultat pouvait en être époustouflant pour les personnes sensibles à cela.
La jeune femme prit une inspiration et se lança, marquant de légères pauses et triturant ses doigts. « J’ai commencé par poser mes couleurs sur la palette : le rouge pour la colère et pour… l’affection – impossible pour elle de poser un mot plus fort sur ce qui la traversait- d’où cet aplat et ensuite ce dégradé, tout se mêle. Les traits ce sont mes doutes, mes peurs et le blanc c’est pour les moments d’accalmie, de sérénité. J’ai laissé aller mes mains plutôt que mon cerveau en fait. Voilà… » termina-t-elle le souffle court. Elle n’avait jamais osé en dévoiler autant sur une œuvre qui la représentait vraiment. Elle n’avait rien dit d’intime et pourtant elle avait l’impression d’avoir tout étaler ce qui la mit dans une situation qui l’intimida.

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Mlle Baldwin... Ellen Baldwin. Cette étudiante qui avait attiré son attention dès le début de la session universitaire. Elle était difficile à manquer, elle qui multipliait les bourdes et les maladresses : un pinceau échappé au sol, un pot de peinture renversé sur elle, une toile gâchée après l'avoir fait tomber par terre... Elle était timide et chaque fois qu'un de ces incidents se produisait, ses petites joues se teintaient d'un rose si charmant qu'il ne pouvait y être insensible. Cela l'avait amené à faire quelques recherches sur elle. Elle était la fille de M. Thomas Baldwin, un homme influent du milieu littéraire. Elle avait aussi récemment ouvert une boutique en ligne pour y vendre quelques-unes de ses réalisations. Gabriel était impressionné autant par sa fibre entrepreneuriale que son talent d'artiste. Il s’était bien gardé de lui faire le compliment, il ne voulait pas qu’elle croit qu’il avait fait une enquête sur elle, il ne voulait pas la mettre plus mal à l’aise qu’elle semblait l’être déjà en sa présence.

Qui plus est, elle était très agréable à regarder, dans un style moins tape à l'œil que certaines de ses camarades de classe qui semblaient s'être vêtues pour aller en boîte de nuit. Il est vrai que Gabriel avait une réputation qui le précédait, même s’il aurait préféré qu’il en soit autrement. Il espérait surtout qu’aucune des personnes qui lui avait accordé un poste de titulaire à Columbia n’aient vent de ces rumeurs, au risque de voir son contrat annulé. Bien sur que Gabriel n’était pas supposé entretenir de relations avec ses étudiantes… mais que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre! Elles étaient néanmoins toutes majeures, heureusement, mais la relation d’autorité entre eux lui imposait de faire preuve de retenue. Sauf que Gabriel était si facilement corruptible… devant tant de tentation. Les charmes féminins étaient son point faible, il n’y avait rien à faire.

Ainsi, lorsqu’Ellen, naïve, précisa qu’elle était plus à l’aise avec les pinceaux qu’avec sa bouche, il ne plus retenir un éclat de rire spontané. Ses yeux brillaient, un sourire aux lèvres, lorsqu’il se retourna vers son interlocutrice. Elle poursuiva, visiblement très gênée par la situation et tenta de rattraper le coup en précisant qu’elle n’était pas très à l'aise pour parler en public.

" Hum, c’est ce que j’ai pu constater, en effet…! Mais il n’y a pas de gêne à avoir avec moi. Nous sommes que tous les deux maintenant et je serais ravi de vous entendre parler de votre art, cette œuvre en particulier ", dit-il en pointant la toile qu’il venait de commenter.

Elle s’était rapprochée de lui et du chevalet pour ranger ses pinceaux dans sa malette. Il sembla déceler un léger tremblement. Était-ce lui la cause de toute cette agitation? Il était bien amusé et flatté de la situation. Il l’écouta décrire son œuvre avec grand intérêt, les yeux tantôt portés vers la toile, tantôt sur les mains d’Ellen qui bougeaient sans cesse par la nervosité.

Il se rapprocha d’Ellen et posa délicatement une main dans le creux de son dos. Il voulait la rassurer, être gentil, même s’il y avait de forte chance que son geste l’intimide quelque peu.

" Vous avez le droit de respirer vous savez? "

Il sourit et retira sa main, il ne voulait pas faire durer le supplice trop longtemps, la pauvre Ellen avait déjà les joues en feu. Il s’avança à nouveau vers la toile, pointant les différentes sections énumérées par Ellen.

" Ainsi, la colère, l’affection, le doute, la peur… et enfin la sérénité. Voilà une histoire qui se termine bien. C’est rassurant. C’est touchant. Vous avez un véritable talent et vous avez fait beaucoup de progrès dans le cadre de ce cours. Je crois que vous êtes de plus en plus en mesure de vous écouter, de ressentir et donc de transmettre vos sentiments dans une criante vérité. Je ne vous demanderez pas de me parler davantage de l’histoire qui se cache derrière votre création, sauf si vous le souhaiter. Je serais curieux d’en apprendre davantage sur vou… votre œuvre, mais je comprendrais si c’est trop personnel, bien évidemment... Au fait, est-ce que vous lui avez trouvé un nom?  "

Il regarda sa montre et poursuivit :

" Oh, mais voyez-vous ça, le temps passe à une vitesse folle. Vous avez sans doute déjà des projets pour la soirée, je ne voudrais pas vous retarder davantage. "

Une idée venait de lui traverser l’esprit, tiraillé par une faim grandissante. Il ne saurait dire pourquoi, mais il n’avait pas envie de la quitter ainsi. Il avait l’impression qu’il pourrait la regarder lui parler d’art pendant des heures sans se lasser. Ils auraient aussi pu tenter d’autres exercices, prendre de l’avance sur la matière prévue pour la fin du trimestre, l’art du portrait… Les battements de son cœur s'étaient accélérés. Mais c’était différent des autres fois. Ce n’était pas qu’une simple attirance physique. Depuis le début de la session qu’il l’avait remarqué et pourtant, il n’avait jamais osé s’imposer ou faire quelque gestes déplacés. Elle n’était pas comme les autres. il avait envie d’apprendre à la connaître. Ne pas brûler d’étape. Mais ce n’était pas facile pour autant. Elle l’attirait vraiment beaucoup.

Pour ce qui est de la faim, ils auraient pu commander de quoi se sustenter et partager le repas directement dans la salle de classe, entre deux coups de crayons, ou poursuivre la discussion dans son bureau qui n'était pas loin, au besoin. À cette heure de la journée, il n’y avait plus de cours dans cette partie du pavillon, ils seraient tranquilles.

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Ellen reprenait un peu de contenance tout en dévoilant ce qui se cachait derrière sa toile mais une fois mise à nue, elle ressentit une pointe de stress. Allait-il trouver tout cela puéril, trop simple finalement, banal ? Bien sûr que son avis lui importait, il était talentueux et un excellent professeur. " Vous avez le droit de respirer vous savez? " Elle esquissa un sourire à sa remarque et se détendit un peu, retirant finalement son tablier.

Elle se sentait troublée. Elle avait l’impression de surinterpréter chaque fait et geste de son professeur. Pourquoi vouloir qu’elle lui en dise davantage ? Avait-il lui aussi envie de plus la connaitre ? Elle chassa rapidement cette idée ridicule. Elle était si maladroite et timide en sa présence qu’elle devait plus l’amuser qu’autre chose, ou lui faire pitié peut-être.
Lorsqu’il posa sa main dans le creux de son dos, elle sentit une chaleur envahir son corps entier, et son cœur battre la chamade. Elle ne put s’empêcher de se poser à nouveau des questions. Rapidement il retira sa main ce qui lui permit aussi de retrouver un peu de confiance. Elle se surprit même à relever ses yeux vers lui.
Ses compliments la touchaient et elle se sentit fière aussi. Il lui demanda si elle avait donné un nom à son œuvre ce qui était chez elle un automatisme. Chaque toile, chaque dessin méritait d’être nommé.
« Merci monsieur Dixon, commença-t-elle. Je l’ai intitulée « Branle-bas », je donne toujours un nom à mes dessins ou mes peintures. »
Quand Gabriel lui fit remarquer le temps qui était passé, la brune jeta un œil à l’horloge de la salle. Elle l’écouta cependant et le regarda à nouveau, croisant son regard, sentant son cœur battre un peu plus fort.
« Je… » mais elle s’arrêta, commençant à prendre ses affaires. Etait-ce ainsi qu’il s’y était pris avec les autres filles dont elle avait entendu parler ? Ellen n’avait aucune envie d’apparaitre sur son tableau de chasse et rester seule avec lui, que cela sous-entendait-il ? Elle s’apprêtait à lui annoncer qu’elle partait quand sa bouche décida de se lier contre elle, son cœur accompagnant cette haute trahison.
« Tant que vous ne comptez pas me mettre dans votre lit … ce soir, je veux bien rester. » Elle retrouvait un peu la vraie Ellen mais cela ne lui plaisait pas, pas maintenant. C’était son prof, il voulait sans doute simplement parler art non ? Il devait bien se fiche de connaitre sa vie ou le goût de ses lèvres non ? alors qu’elle, elle ne cessait de repenser à la sensation de sa main dans son dos. Elle se mordit discrètement la lèvre pour ne pas rougir, cherchant dans son regard une réaction.

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La jolie demoiselle se déliait un peu plus la langue en partageant avec Gabriel le nom qu'elle avait choisi pour son œuvre. Supportant enfin son regard, c'est Gabriel qui maintenant avait des papillons dans le ventre en étant à ses côtés. Il appréciait particulièrement la trouvaille d'Ellen  :

" Oh, c'est très original, j'aime beaucoup. C'est vraiment à propos et permet de voir votre travail d'un autre œil. On décèle beaucoup de nervosité, d'agitation... Je ne parviens pas encore tout à fait à déceler pourquoi cependant...", dit-il songeur. " Ah, et quand nous sommes que tous les deux, appelez-moi Gabriel, ça fera très bien l'affaire." lui souligna-t-il, un sourire au coin des lèvres.

Ellen sembla vouloir ajouter quelque chose, mais s'interrompit pour ramasser ses affaires. Gabriel ne put s'empêcher de ressentir une pointe de déception. La soirée s'annonçait pourtant des plus intéressantes, avait-il commis un faux pas? Il n’avait pas de plan précis en tête, mais il n’y avait pas de mal à un peu de flirt pour se changer les idées après une longue journée.

Ellen le sortit de ses pensées brutalement. Il manqua de s’étouffer avec sa propre salive. C’est vraiment ce que tout le monde pensait de lui? Qu’il ne cherchait qu’à coucher avec ses étudiantes? Il fut quand même un peu vexé sur le coup, mais resta accroché sur ses dernières paroles : elle acceptait de rester.

" Dites donc, vous n’avez pas votre langue dans votre poche, Mademoiselle Baldwin. Je ne sais pas ce qu’on vous a dit sur moi, mais de toute évidence, c’était grandement exagéré… " Il avait un peu de difficulté à rester sérieux, mais faisait tout son possible pour ne pas sourire. Il n’avait pas dit que c’était totalement faux, simplement… exagéré.

Il poursuiva, d’un air amusé : " Mais si vous y tenez, d’accord, ce ne sera pas ce soir dans ce cas. " Il aimait la taquiner, surtout quand elle démontrait qu’elle était capable d’en prendre en lui sortant ce genre de remarque.

" Sinon, je ne sais pas pour vous, mais je commence vraiment à avoir faim. Est-ce que quelque chose vous ferait envie? On peut se faire livrer pratiquement n’importe quoi ici. On pourra continuer de discuter de dessin et de peinture tout en cassant la croûte, vous en dites quoi? "

Son regard plongé dans le sien, il attendait impatiemment sa réponse.

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Les compliments de Gabriel la touchèrent, plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’être sur ses gardes avec ce qu’elle avait pu entendre de lui.

« Merci…. Gabriel » répondit-elle sincèrement.

Il lui proposa ensuite de rester avec lui ce qui la déstabilisa. Souhaitant d’abord refuser elle avait commencé à ramasser ses affaires. Elle ne comprit pas ce qui lui passa par la tête mais accepta, faisant allusion à l’éventualité que la proposition cache une quelconque ambiguïté. Le fait de ne plus croiser son regard avait certainement jouer mais elle se sentit un peu idiote. " Dites donc, vous n’avez pas votre langue dans votre poche, Mademoiselle Baldwin. Je ne sais pas ce qu’on vous a dit sur moi, mais de toute évidence, c’était grandement exagéré… " Elle se retourna face à lui, cherchant à interpréter ce qu’il venait de lui dire. " Mais si vous y tenez, d’accord, ce ne sera pas ce soir dans ce cas. " ajouta-t-il avant qu’elle n’ait eu le temps de reprendre la parole. Un frisson la parcourut alors.

« Très bien. Tant mieux si ce ne sont que … des exagérations. » répondit la jeune femme avant qu’il ne propose de se faire livrer à manger. Ellen se détendait mais ses pensées étaient de plus en plus diverses.

« Hum je comptais me prendre des sushis en rentrant mais peut-être que vous n’aimez pas ? » proposa-t-elle avant de commencer à déambuler dans la salle pour éviter de le regarder et d’analyser ses propos. Il avait fait pointer en elle un désir interdit, aussi bien charnel qu’intellectuel.

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Gabriel prenait plaisir à jouer un peu avec son étudiante. La pauvre Ellen, si timide, peinait à soutenir son regard et à répondre à ses questions. D’ailleurs, elle semblait ne pas avoir relevé sa blague à l’égard de sa réputation de coureur de jupons dont il était bien aux faits. Il interpréta sa réponse et en déduisit qu’elle n’était par le genre de fille qui recherchait une aventure d’un soir avec son professeur. Cela ne la rendait que plus intéressante à ses yeux. Gabriel devait donc être vigilant afin qu’elle ne prenne pas peur et décide de partir, ce qui le décevrait énormément. Il appréciait sa compagnie et avait surtout envie d’en apprendre davantage sur elle. Elle était si différente des autres jeunes filles assistant à ses cours, constamment en pâmoisons devant lui. Elle était si mystérieuse et discrète, percer sa carapace ne serait pas tâche facile, mais il aimait les défis. Et puis, ils avaient tous leur temps, puisqu’elle acceptait de rester pour manger un morceau en sa compagnie. Il n’eut même pas le temps de lui répondre que déjà elle s’éloignait de lui, marchant aléatoirement entre les chevalets restés ouverts.

- Bon et bien des sushis ce sera dans ce cas. Je m’occupe de nous commander cela.

Il n’était même pas certain qu’elle avait entendu sa réponse tellement elle semblait “absente”. Il avait du mal à décoder son non verbal, d’autant plus qu’elle était rendue si loin de lui. L’avait-il mise mal à l’aise? Il espérait sincèrement que non. Il décida finalement de prendre son téléphone pour commander les sushis via son application. De toute façon, si elle changeait d’avis, ils n’auraient qu’à repartir chacun de leur côté avec leur plateau de sushi. La commande complétée, ils n’avaient plus qu’à attendre. Ils en avaient pour environ 45 min et ils seraient livrés directement à la porte du local dont il avait fourni le numéro. Rien de plus facile.

Il rangea son téléphone dans sa poche et chercha Ellen des yeux. La salle était assez grande et la moitié des néons avaient été éteints lorsqu’il s’apprêtait à partir, donnant une ambiance très feutrée à la salle de classe. Il navigua entre les chevalets jusqu’à rejoindre Ellen qui semblait s’être arrêté devant l’oeuvre d’un de ses comparses. Arrivant discrètement dans son dos, il commenta la réalisation de cet autre étudiant.

- Intéressant, mais pas autant que ton oeuvre. Tu vois ici sur la droite, ça manque de dynamisme, d'originalité... C'est d'un ennui...

Il se déplaça un peu afin de venir se placer face à elle et poursuivit :

- Alors, voilà, les sushis sont commandés. Ils vont être livrés ici dans environ 45 min… Mais je voulais être certain que.. tout ça… toi, moi ici à discuter d’art… ça te convenait. Je sais pas, j’ai eu l’impression de t’avoir mise mal à l’aise et c’était pas mon intention.

Il se frotte un peu la nuque, un sourire timide sur le visage.

- Tu sembles si soucieuse, aurais-tu voulu me partager ce qui te tracasse? Sait-on jamais, je pourrais peut-être t’aider… Ou sinon, dis-moi ce qui t’intéresse le plus dans mon cours? Ou même ce que je pourrais améliorer peut-être? Il y a peut-être une technique en particulier que tu aimerais que je vous enseigne?

Il essayait de détendre l’atmosphère, lui parlant de chose terre à terre tel que le cours qu’il lui enseignait. Égoïstement, il espérait uniquement revoir son joli sourire. Celui même qui savait lui donner quelques papillons dans le ventre…

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Elle se sentait ridicule de se sentir à ce point troublée et désorientée par cet homme. Elle reprit un peu contenance en parlant des sushis puis elle parcourut la pièce avant de s’arrêter sur une toile réalisée par un de ses camarades. Elle était intriguée par l’œuvre mais ne pouvait s’empêcher d’y trouver des améliorations possibles. Son esprit critique était toujours présent bien qu’elle n’en fît pas beaucoup part, ne souhaitant pas paraitre prétentieuse. Concentrée, elle n’entendit pas les pas derrière elle et eut un léger sursaut lorsque Gabriel lui parla.

« Je me disais … osa-t-elle, justement que j’aurais donné du relief, peut-être avec une éponge ou même en superposant des couleurs plutôt vives avant de les étaler avec la spatule… » Elle avait osé réellement dire ce qu’elle pensait, sans peur du jugement mais, une fois sa phrase terminée, elle doutait encore.
Elle se tourna vers lui et ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire face à sa gêne. « Tu sembles si soucieuse, aurais-tu voulu me partager ce qui te tracasse? Sait-on jamais, je pourrais peut-être t’aider… Ou sinon, dis-moi ce qui t’intéresse le plus dans mon cours? Ou même ce que je pourrais améliorer peut-être? Il y a peut-être une technique en particulier que tu aimerais que je vous enseigne? » Elle se remit à marcher, ne pouvant soutenir son regard.

« Je me confie difficilement. » assura-t-elle, se fermant un peu. Elle sentit alors son cœur s’emballer et sa tête tourner. « Ok… » elle se tourna vers lui, ayant un besoin irrépressible d’évacuer. « Je sais juste pas ce qu’il m’arrive, j’ressens des trucs pour quelqu’un qui n’en a sans doute rien à faire de moi, sauf que je suis pas ce genre de filles. Alors si tu sais comment contrôler tout ça je suis preneuse car ça me rend dingue… »

Elle se sentit alors soulagée et idiote de balancer ça comme ça mais ne bougea pas, ne pouvant pas détourner le regard. Elle déglutit tandis qu’un silence s’était installé. « Je suis désolée je sais pas pourquoi je t’ai dit tout ça, tu voulais qu’on parle des cours… »

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Gabriel était arrivé si silencieusement dans le dos de la demoiselle qu’il l’a fit sursauter alors qu’il s’agissait nullement de son intention. Néanmoins, Ellen fut en mesure de lui répondre du tac au tac en émettant une opinion sur la toile et sur la manière dont elle l’aurait amélioré. Elle était bien plus diplomate que lui, toujours respectueuse envers le travail de ses collègues. Gabriel devrait prendre exemple sur elle, car s’il ne faisait pas plus attention, il ne manquerait pas d’alimenter les rumeurs de favoritisme envers certaines étudiantes… Il se devait d’être impartial et ne pas dénigrer le travail de ses élèves, surtout devant… d’autres élèves. Malheureusement, il se rendit compte de sa bourde un peu trop tard.

Ellen la regardait, un timide sourire sur son visage qui ne manqua pas de le déstabiliser. Comme s’il ne savait plus comment se comporter avec elle. Il avait beau être son professeur, la différence d’âge entre eux n’était pas suffisante pour créer une réelle relation d’autorité. Et habituellement, les jeunes filles qui restaient après les cours avaient des intentions on ne peut plus claires à son égard. Mais là, c’était différent. Complètement. Ça n’avait même rien à voir.

- Tes idées sont vraiment intéressantes et pertinentes. Tu devrais prendre plus souvent la parole en classe, je suis certain que tes commentaires seraient grandement bénéfiques pour tes camarades.

Après avoir mis de l’avant le fait que son comportement était quelque peu étrange, Ellen poursuivit sa fuite, incabaple de soutenir son regard. Était-il si menaçant? Qu’avait-il bien pu faire pour la mettre dans cet état? Il essaya de lui changer les idées, la faire parler du cours… . Il la suivit du regard alors qu’elle se démenait pour laisser sortir de sa bouche la raison de ses tourments. Puis, elle l’amena vers un autre sujet qu’il n’aurait jamais pu prédir et le laissa d’abord pantois. Puis, elle s’excusa de s’être confiée ainsi sur un aspect aussi personnel, ne faisant qu’aggraver sa gêne à son égard.

- Et bien, je te proposais surtout un sujet qui pourrait te changer les idées si tu ne te sentais pas à l’aise de me parler ouvertement sur ce qui te tracasse. Tu n’as surtout pas à t’excuser, je suis flatté que tu ais suffisamment confiance en moi pour te confier ainsi. Allez, viens par là.

D’un signe du bras, il lui désigna un espace tout près comprenant une petite table ronde dans un coin de la pièce avec quelques fauteuils, un petit coin pour patienter et discuter entre les cours. Il prit place sur un fauteuil et l’invita à s'asseoir dans celui le plus près.

- Tout d’abord, tu sembles en effet une personne réservée, de peu de mots. Par contre, je ne pourrais pas dire que tu te confies difficilement. Pas avec moi en tout cas! Ensuite, pour ce que tu évoques… Hum, en voilà un beau problème. Les sentiments humains sont une source infinie d’inspiration, donc évidemment que je ne te conseillerai pas de les “contrôler”. Pour ce qui est de cette personne qui n’en a sans doute rien à faire de toi, je te dirais de faire attention à la sur-interprétation. Cela peut te jouer de vilains tours. C’est toujours préférable d’aller voir à la source pour valider ce que tu prends pour une vérité. Tu pourrais être surprise du résultat et te rendre compte que tu t’en faisais pour rien.

Il s’interrompt, un peu mal à l’aise. Il se frotte la nuque avant d’ajouter : je sais pas si ça t’aide un peu? Il prend ensuite une courte pause pour prendre le temps de l’observer un peu des pieds à la tête avant de conclure :

- Mais… que veux tu dire par “tu n’es pas ce genre de fille”? Tu n’es pas le genre de fille qui tombe en amour, le genre de fille qu’on peut aimer? Quel genre de fille es-tu alors?

Il était particulièrement surpris par la tournure de la conversation, mais suffisamment intrigué pour poursuivre. Il avait du temps à tuer de toute façon, autant bien se rendre utile.

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