Ci-git...

Il a horreur de lire les "ci-git"... Ca n'annonce jamais rien de bon. Mais souvent, comme à son habitude depuis deux ans, il passe la porte du cimetière. C'est fou comme d'un côté du mur, il y a la vie, les klaxons, les oiseaux, les bruits de la ville, les gens qui marchent, le tout dans une cacophonie discrête ou trop fortes, mais agréable... vivante... Mais de l'autre côté de ce même mur, alors que le mur n'a rien de spécial, les bruits sont ténus, diminués ou peut-être amplifiés, il ne saurait exactement dire comment. On entend les gens qui marchent dans le gravier et c'est bruyant, on entend les oiseaux, on entend les klaxons, mais ça n'a rien à voir. C'est pas discret et c'est discret à la fois... Enfin, c'est pas fort, mais il n'y a tellement pas de bruit, qu'on l'entend de loin, oui, voilà, c'est plutôt ça l'explication.

Luca allonge le pas, il veut en finir rapidement. Ce n'est pas une corvée, mais il n'aime pas trop trainer par ici. Lui qui cherche à donner du plaisir, voilà qu'il vient de mettre le pied dans le seul lieu où c'est tout bonnement impossible. Rose blanche dans une main, il contourne quelques stèles pour se positionner devant une pierre de marbre. Son menton tremble tout à coup, comme à chaque fois. Mais il garde la machoire close et serrée. Doucement, il s'accroupit et dépose la rose sur la dalle. Un soupire, une courte prière silencieuse et il se redresse. Il reste là à contempler la stèle quelques instants. C'est là qu'il se rend compte que le pot de fleurs qui orne la tombe, manque cruellement d'eau. Il cherche du regard où il pourrait le remplir. Bon sang, c'est tout là-bas, alors il emporte le pot et se dirige vers le robinet.

Il vire les feuilles mortes, les quelques fleurs qui sont fânées et remplit le vase de marbre également. Il en profite pour prendre une brossette, car il a bien remarqué qu'il y avait un peu de poussière et de lichen qui commençaient à envahir la tombe. En remontant vers la stèle, il voit une figure féminine non loin de là. Il n'y prête pas attention pour l'heure, car il est plutôt occupé à ne pas fouttre de l'eau partout sur ses vêtements. Mais plus il s'avance, plus il s'aperçoit que cette même figure féminine se tient non loin de la tombe de son père. Dans la même rangée, et même... même devant la tombe ? Luca fronce un peu les sourcils. Qui donc v... Nina ? Cela fait des mois qu'il ne l'a pas vu, mais il reconnaitrait sa soeur n'importe où ! Il presse le pas.

- Nin' ! Oui, Luca a réussi à racourcir un prénom qui est déjà bien court. Sorella, tiens-moi ça. Il lui tend le pot, fait comme si de rien était. Après tout, c'est sa soeur, même si elle a disparu pendant des années, jamais il ne lui en voudra. Et puis, ce qui compte, c'est qu'elle soit revenue, c'est tout ce qui lui importe. Il frotte la dalle avec la brossette, de nouveau accroupi. Comment ça va ?

Ci-git...

Le regret de ne pas être revenue plus tôt et surtout de ne pas leur avoir rendue visite plus souvent, voilà ce qui me ronge depuis le départ de mon père. Il était mon héros, l’homme de ma vie, celui qui m’a appris à être forte même si je suis une femme, il a toujours voulu que je sois indépendante et c’est ce que j’ai fait, peut être un peu trop d’ailleurs… J’avais tellement peur de les décevoir, peur du rejet que j’ai préféré m’enfuir de mon propre chef, assumant seule ma grossesse. J’aurais pu revenir plus tôt, sans leur dire la vérité, juste revenir auprès de mes proches mais ma fierté me forcer à rester loin. J’avais honte de leur avoir caché la vérité, honte d’avoir du abandonner mon enfant à cause de mes choix. Mais je craignais aussi mon ex petit ami, peur qu’il me retrouve et me fasse du mal à moi ou à ma famille. En fuyant, j’ai aussi empêché cet homme de me nuire davantage, surtout s’il avait appris pour ma grossesse. Enfin, je ne peux pas revenir en arrière, il est désormais trop tard…

C’est le décès de mon père qui m’a fais revenir, malheureusement, il a fallu un évènement tragique pour que je comprenne que ma vie était auprès de ma famille et non à des centaines de kilomètres de là. Désormais, je viens me réfugier devant la tombe de mon père quand je n’ai pas le moral, tenant de rattraper le temps perdu, je sais c’est absurde, mais s’il y a une infime possibilité qu’il m’entende alors je la saisi.

Comme vous l’aurez compris, aujourd’hui est un jour sans, j’ai besoin de parler. J’arrive au cimetière, ne me souciant pas des personnes présentes ou non, je me dirige machinalement vers la tombe de mon paternel. Je connais le chemin par cœur désormais, j’avance solennellement vers mon père. J’ai toujours un sentiment étrange dans cet endroit, je me sens à la fois bien parce que je viens discuter avec mon père mais aussi oppressé par l’ensemble des autres stèles qui nous entoure. Et puis cela me rappelle inévitablement, que je ne reverrais plus l’homme qui m’a tout apprit sur la vie. J’arrive devant la tombe et souris instantanément.

« Bonjour papa, c’est moi Nina. » Je baisse les yeux et aperçoit la rose blanche déposé sur le marbre. « Je vois que tu as eu de la visite, je suis désole je suis venue les mains vides. Promis, la prochaine fois, je te ramène un bouquet. »

J’eus à peine le temps de finir ma phrase que je fus interpellé par une voix familière et surtout par le surnom qu’elle prononce. Je me retourne et j’aperçois Luca, mon petit frère. Un sourire se dessine à nouveau sur mon visage contente de le voir. Ma relation avec ma fratrie est un peu compliquée, beaucoup m’en veule d’avoir quitter la ville du jour au lendemain. Luca quand à lui, m’a accueilli comme si de rien n’étais et je lui en suis reconnaissante. Je n’eus pas le temps de dire mot, que mon frangin me tend un pot que je saisi de peur de le faire tomber. Je l’observe se baisser pour nettoyer la tombe avec une petite brosse. « On fait aller même si venir ici n’est pas toujours évident … » Je marqua une pause quelques secondes prises par mes pensées. « Et toi comment tu vas petit frère ? »

Ci-git...

Il a déjà recroisé sa sœur depuis son retour à NYC. Mais est-ce qu’ils se sont vraiment reparlé ? Et par « reparler », il veut dire, entre quatre yeux et discuter de tout et de rien, comme avant. Avant avant. Avant que leur père ne meurt, avant qu’elle ne parte pour dieu-seul-sait-où. Non, ils n’ont jamais reparlé. Alors, Luca, pour ne pas être « déçu », pour que cela ne se voit pas, il fait comme s’ils se parlaient tous les jours, comme si, se croiser là n’était pas incongru. Après tout, ils sont en famille, non ? La fille, le père et le fils. L’un des fils.

- Je pense qu’il te faudra plus que un bouquet si tu veux qu’il te pardonne… En même temps, un sourire et il te pardonnait tout… Mais bon, c’est pas trop le lieu pour sourire, hein…

Luca sourit, un peu. Faut dire, que dans un cimetière, en effet, ce n’est pas trop l’endroit où on a envie de sourire. Mais bon, il est tellement content de voir sa sœur. Alors que cela soit dans un cimetière ou ailleurs, il s’en fout un peu.

- Ma’ passe un peu, de temps en temps, mais elle pleure à chaque fois. J’ai plus de temps qu’elle, et j’arrive à ne pas pleurer alors je viens pour elle. L’italien redresse un peu la tête, alors qu’il enlève un peu de lichen. Bah écoute ça va. Tous mes appartements sont loués, ça paie bien, j’ai pas de gros problème dedans et j’ai racheté tout récemment un commerce. Enfin… « racheté » c’est peut-être pas le bon mot. Le batiment avait été incendié et j’ai racheté les ruines pour en faire un nouveau commerce. Presque tout fier, redressant le menton, il ajoute, les étoiles brillant dans son regard. C’est un sex-shop de luxe. Je venais là pour l’annoncer à Pa’.

Voilà, il a fini de nettoyer la stèle, il récupère le pot des mains de Nina et le pose sur la dalle, il y ajoute la rose blanche qu’il a apporté tout à l’heure. Voilà, c’est mieux comme ça. Il se redresse, se positionne juste à côté de sa sœur, glisse sa main dans la sienne, car il sent que le menton tremble de nouveau. Il a besoin de la force de sa sœur, et aussi parce qu’elle lui a manqué terriblement. Il a beau être adulte depuis plusieurs années, être responsable, mâture et tout ce que vous voulez, auprès de Nina il a toujours l’impression d’être le petit garçon qu’elle maternait. Quelques fois, il a envie d’être encore ce petit garçon, juste avant qu’elle ne parte. Sortant de ses pensées, peut-être pour éviter de pleurer justement, il ajoute, sans introduction.

- Tu savais que j’étais hédoniste ? C’est pour ça que je me suis dit qu’un sex-shop, ça pouvait être pas mal.