L'Heure du Jugement

Une fois n'est pas coutume, Lee doit venir chercher Héra chez ses parents. Il en a assez en vérité de devoir l'attendre, le temps qu'elle rentre chez elle et qu'il arrive, ils perdent trop de temps. Il aimerait lui éviter de subir cette corvée d'aller, tous les dimanches chez la Famille Tyran, mais elle n'en démord pas. Il est persuadé qu'elle a beaucoup trop peur de se confronter à son paternel, Gourou de la Secte des Zaïmis. Enfin, si en venant la chercher il gagne quelques dizaines de minutes, une ou deux heure à passer avec elle, c'est déjà mieux que de la savoir avec ses parents. Il est même persuadé que sa fratrie lui donne de mauvaises idées, mais bon, il ne va pas encore s'engager sur ce terrain plus que glissant. Déjà s'il arrive à l'arracher à cette famille... C'est donc direction Long Island qu'il prend. Il roule bien des kilomètres pour arriver à l'endroit indiqué. Evidemment, c'est le coin des rupins. Mais Lee n'y prête pas attention, il suit le GPS jusqu'à arriver à une entrée imposante. Franchement... Pas du tout son style, mais bon...

- Je viens chercher Héra.

Qu'il dit à l'interphone. Oui, pas de "bonjour", il s'en fout, il a pas envie de parler à un boitier électronique. Et puis, généralement, son accent brittish prononcé suffit à paraitre courtois sans l'être. Les lourdes grillent finissent par s'ouvrir et d'un coup de poignet, le jeune homme lance la moto sur les petits gravillons de l'allée. Y'a même un carrefour sur la propriété ! A gauche, tout droit ou à droite ? A droite, ça a l'air d'être le garage. A gauche, ça semble mener à une autre demeure... et tout droit... il ne voit pas trop parce qu'il y a un autre carrefour un peu plus loin. Bah, il va prendre par là. Hop, il parvient à se garer juste devant la porte... enfin... la porte... Le péron menant à deux escaliers qui mênent à la porte. Il coupe le moteur et retire le casque intégral qu'il pose juste devant lui. Normalement, Héra est prévenue, puisqu'elle sait qu'il vient. Il n'a plus qu'à l'attendre. Lee s'appuie sur le casque, patientant... calmement... du moins, en apparence.

Ce jour-là, c’était un dimanche comme les autres, c'est-à-dire que la moitié des enfants Zaïmis avaient décidé à la dernière minute que leur présence n’était pas requise au traditionnel repas dominical. Ainsi, Thanos avait ruminé une partie de la matinée seul dans son bureau, le regard porté vers l’horizon, en attendant l’arrivée de Héra, Hestià et Kronos, les seuls qui avaient daigné répondre présents. Le repas s’était déroulé sans encombre, ce qui n’était pas surprenant vu l’absence des esprits les plus rebels de la famille. Thanos avait donc pris des nouvelles des dossiers chauds de la société auprès de Kronos et Hestià alors que Thalias discutait avec leur fille Héra, le bébé de la famille.

Une fois le repas terminé, Héra avisa Thanos que son copain, le dénommé Lee, viendrait la chercher à la maison pour retourner sur l’île de Manhattan en fin d’après-midi. C’était l’occasion rêvée d’enfin faire la connaissance de celui qui tournait autour de sa fille depuis un bon moment déjà. Il n’était pas question pour Thanos qu’il laisse cette occasion de le mettre à l’épreuve lui glisser entre les doigts. Héra avait répondu à quelques-unes de ses questions, mais il en savait encore trop peu sur ce jeune homme qui fréquentait sa fille. Quel était son nom complet? Quel âge avait-il? Où travaillait-il? Avait-il une tête sur les épaules, venait-il d’une famille respectable, avait-il une certaine prestance? Pourquoi fréquentait-il sa fille? Pour la fortune familiale? Pour l’atteindre lui? Thanos avait tendance à tomber dans la paranoïa quand il s’agissait des fréquentations de ses enfants, à croire que le monde entier essaierait de s’en prendre à lui en passant par ses enfants. L’entreprise familiale faisait des envieux, il fallait donc toujours rester sur ses gardes. C’était le prix à payer quand ton nom rivalise avec celui des divinités grecs.

Toute la famille était occupée au salon lorsque le majordome particulier de Thanos fit son apparition dans l’embrasure de la porte. Discret et silencieux, il fit un signe de tête que seul Thanos pouvait remarquer. Lee était arrivé, à l’heure précise qui plus est. C’était donc un homme ponctuel, une qualité qu’il appréciait tout particulièrement. Brandissant son téléphone en prétextant une urgence pour le travail, il prit congé de sa famille, leur assurant qu’il ne serait pas long. Son intention était qu’aucun d’entre eux ne puisse intervenir alors qu’il planifiait de rencontrer Lee, seul à seul.

Thanos donna ses instructions à son majordome et se dirigea vers son bureau situé dans une aile distincte de la résidence, bien loin du salon où se trouvait le reste de la famille. Il passa devant une fenêtre surplombant l’entrée et aperçut le jeune homme, assis nonchalamment sur une… motocyclette? Il fronça les sourcils. Il n’aimait pas du tout l’idée que sa fille fasse de la moto. Pour une première impression, c'était raté. Il secoua la tête en maugréant avant de se diriger vers la porte de son bureau. Il prit place sur son fauteuil, faisant face à la porte et patienta. Son majordome ne devrait pas tarder, il avait pour mission d’accueillir personnellement Lee et de le conduire jusqu’à lui, prestement et discrètement.

Le majordome avait ouvert la lourde porte et se tenait bien droit dans son embrasure. Il s’adressa directement à Lee :

" Monsieur, je vous prierais de bien vouloir me suivre. M. Zaïmis souhaite s’entretenir avec vous dans son bureau. "

L'Heure du Jugement

Quand il veut, Lee peut être très patient et très aimable. Mais seulement quand il le veut. C’est-à-dire, quasiment jamais. Sauf que là, il n’est pas n’importe où. Il est chez la… famille… d’Héra. Et Héra les apprécie tout autant qu’elle l’aime lui. Elle le lui a déjà dit. Alors, même s’il pique une crise de jalousie, il sait que la jeune femme ne peut pas se défaire de ces tyrans qui la persécutent. Donc, il va se montrer… comment dire… avenant… Non, pas avenant… cordial. Voilà. Cordial. Mais c’est tout. Pas plus. Faut pas le chercher non plus, hein.

"Monsieur..." Sur sa moto, Lee sursaute. Il n’a pas entendu la porte tourner sur ses gongs et encore moins le type en habit de pingouin marcher comme un fourbe sur le péron pour se tenir en haut des marches et s’adresser à lui. Le jeune homme lève le regard, plat, vers l’homme. "…ien vouloir me suivre. M. Zaïmis souhaite s’entretenir av…"

Lee n’écoute pas le reste. Il n’a pas envie de se confronter au Tyran. Mais bon. D’après les dires de Flower, Monsieur Zaïmis n’est pas un homme à qui on dit non. Et puis, il se doute bien que s’il refuse, le susnommé tyran s’arrangera pour que jamais Héra ne puisse le revoir. Donc pas le choix. Lee enjambe la moto. Son instinct lui dit de mettre l’antivol, mais il se rappelle qu’il est tout de même sur une propriété privée et qu’il y a bien peu de malchance de se la faire voler. Il retire toutefois la clé du contacteur et grimpe les marches en silence.

L’intérieur est à couper le souffle. C’est rupin. Ca rutile de partout. C’est entre l’hyper trop poli du marbre, les dorures, le manque flagrant de… de vie de famille. On dirait un peu une maison témoin pour prince ou princesse en bord de mer. Il n’aime pas du tout la déco. Il ne peut pas manquer d’être impressionné, ça, il veut bien l’admettre, mais de là à apprécier… Non. Il ne sait pas combien de pièces il traverse ou de couloirs qu’il longe, précédé du pingouin, pour arriver devant une porte. Le pingouin le détaille des pieds à la tête alors qu’il s’apprête à toquer à la porte. Oui, Lee le sait, il n’est pas en costard trois pièces sur mesure. Il n’en a qu’un seul, qu’il a payé à prix d’or et qui ne lui sert que pour les grandes occasions. En même temps, il était simplement supposé récupérer Héra et rentrer à la maison. Pourquoi il se foutrait dans un costard pour faire de la moto, hein ?

- Votre nom, Monsieur ? Que je puisse l’annoncer à Monsieur Zaïmis.
- Lee.

Oui, oui, Lee a bien entendu, mais il ne voit pas pourquoi il donnerait son patronyme à un pingouin. Ce dernier finit par toquer, entrer et présenter Lee avant de laisser passer ce dernier. Le jeune homme hésite tout de même, c’est entrer dans la gueule du loup tout de même. Si cela se passe mal… Il ne reverra plus Héra. Non, non, non, il ne doit pas penser cela. Allez ! Il se fout une baffe mentale et entre dans… un bureau qui fait bien trois fois la taille de son propre appartement. Ou quelque chose approchant. Il reste tout de même méfiant, jetant d’abord un regard sur le propriétaire des lieux, puis sur ce qui l’entoure. Y’a trop de… d’étalage de richesse. Lee n’aime pas du tout. Alors il se concentre sur l’homme. Il marche jusqu’au bureau.

- Vous vouliez me voir, Monsieur ?

Sa voix est calme, posée. L’accent anglais toujours présent. Dans son expression, il y a quelque chose d’imperturbable. Il sait qu’il va devoir se maitriser face à l’homme de la maison. Il n’a pas dans l’idée de faire bonne impression. Il donnera l’impression qu’il donnera. L’homme devant lui est suffisamment intelligent, si on en croit tous les on-dit pour voir au-delà des palabres.

Assis à son bureau, Thanos ne parvenait pas à rester en place. Il préféra se relever et se dirigea vers les immenses fenêtres panoramiques qui donnaient sur l'entrée de la propriété. Assis sur sa moto, l’intrus s’y trouvait, car non, ce n’était pas M. Zaïmis qui l’aurait invité en ces lieux. Il aurait probablement préféré le rencontrer dans un endroit neutre, mais puisqu’il était là, autant bien en tirer partie. C’est son majordome qui avait la tâche de le guider jusqu’à lui alors que le reste de la famille s’afférait encore au salon. Ils n’auraient que peu de temps seul à seul, car Héra finirait bien par se demander pourquoi elle n’était pas informée de l’arrivée de Lee. Puis, elle verrait sa moto à l’extérieur et comprendrait alors quel avait été le stratagème de son père pour rencontrer son amoureux à son insu.

À priori, Lee ne lui donnait pas une très bonne impression. Son allure, ses vêtements et puis, il paraissait beaucoup plus âgé qu’elle, cela l’inquiétait même un peu. Pourquoi un homme de son âge s’intéresserait à une jeune étudiante comme Héra, si ce n’est pour… non, il préférait ne pas y penser. Oui, il faut bien que jeunesse se fasse, mais pas dans n’importe quel condition. Pas avec n’importe qui. Au moins, il ne tarderait pas à en connaître un peu plus sur lui. Et surtout, il savait que c’était important pour sa fille, qu’il fasse preuve d’un peu d’ouverture d’esprit. Il appréciait profondément qu’Héra accorde de l’importance à son opinion, il devait donc lui rendre la pareil en accordant de l’importance à son bon jugement, en lui faisant confiance. Il ne pouvait pas être si terrible que ça si sa fille en était amoureuse, non? Il devait aussi avoir confiance en l’éducation qu’elle avait reçue… de sa part.

Le majordome avait disparu de son champ de vision, avec à sa suite, Lee. Thanos faisait les cent pas, la tête perdue dans ses pensées. Lee ne serait pas le seul à passer un examen ce jour-là. Thanos aussi serait scruté à la loupe. Il importait peu que Lee l’apprécie, mais il ne fallait pas non plus que Thanos lui donne des munitions pour qu’il la monte davantage contre lui.

Il commença enfin à entendre des pas s’approcher dans le couloir. Il retourna à son bureau, ouvrit un cahier. Il ne fallait pas donner l’impression qu’il ne faisait que l’attendre bêtement. Quand son majordome ouvrit la porte pour l’annoncer, il leva les yeux et hocha la tête, lui indiquant qu’il était prêt à le recevoir. Et il entra enfin. Ses yeux semblaient se promener d’un bout à l’autre de la pièce, observateur. Il était encore trop loin, difficile de lire son non verbal pour savoir ce qu’il pensait du décor.

- Approchez.

Il se leva pour aller à sa rencontre. Il lui pointa un fauteuil en cuir sur lequel il l’invita à prendre place et s'assit en face de lui, sur un fauteuil identique. Avec beaucoup d’efforts de sa part, Thanos parvenait un peu à comprendre pourquoi Lee était si attirant aux yeux de sa fille. Ses airs rebelles, sa nonchalance, son charisme. Ce devait faire changement des garçons de bonnes familles qu’elle côtoyait dans son quotidien. Il restait maintenant à voir ce qu’il avait à dire.

- Effectivement. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir accepté de me rencontrer ainsi, alors que ce n’était pas prévu. Je n'ai appris que tout à l'heure que vous feriez la route jusqu'ici pour ramener Héra en ville.

Le majordome était déjà de retour. Après avoir signalé sa présence en cognant à la porte, il entra discrètement, déposa deux verres et une carafe d’eau bien froide sur la table basse et ressorti aussitôt.

- Donc c’est vous, le fameux… Lee? J’ai brièvement entendu parler de vous par ma fille, mais je souhaitais me faire ma propre opinion en m’entretenant directement avec vous. Ainsi, vous fréquentez donc Héra depuis quelques temps déjà… Vous vous êtes rencontré dans un cours de danse je crois me rappeler? Vous en faites depuis longtemps? En faites-vous votre métier?

Il se pencha vers la table pour remplir les deux verres avec l’eau fraîche provenant de la carafe, faisant signe à Lee de ne pas hésitez à se servir. Il but lui-même une gorgée avant de redéposer son verre devant lui. Il devait commencer en douceur, partir de ce qu’il savait, et espérer en obtenir un peu plus. Et ce n’était pas seulement ce qu’il lui dirait qui l’intéressait, mais aussi la manière, les mots, la façon dont il lui parlerait d’Héra. Il devait évaluer sa sincérité, son honnêteté. Et tout cela, dans un temps imparti qui lui était malheureusement inconnu.

L'Heure du Jugement

Ou bien... Non, non... Enfin, si... En fait, Lee est face à un dilemne. Plaire et jouer l'hypocrite ou ne pas plaire mais rester entier, le même. Difficile à décider, surtout en quelques mètres. Tel l'animal sauvage, il est entré dans l'arène. En fait, c'est exactement ça. Il a l'impression d'être un taureau face à un torero. S'il n'attaque pas, il ne se fera pas piquer, il pourra survivre. Du moins, il a plus de chance en tout cas. Ok, ok, ne pas attaquer, surtout qu'en face de lui est un homme particulièrement influent. Une des plus grosses richesses de ce pays si ce n'est de cette planète et surtout le père d'Héra. S'il ne pensait qu'à l'argent, il se dirait qu'il avait de la chance, mais ce n'est pas l'argent qu'il veut. Il veut juste la fille. Ce trésor-là est bien plus beau. Bref, il n'a plus le temps de réfléchir car il arrive déjà pratiquement au pied du bureau devant lequel s'est positionné le pater familia. Ce dernier l'invite à prendre place dans un fauteuil, juste à côté. Le plus âgé pose son arrière-train sur le cuir et Lee fait de même, dans le fauteuil qui lui a été attribué.

Le propriétaire des lieux explique alors pourquoi il voulait voir le plus jeune des deux. Lee se doutait bien qu'Héra aurait fini par dire à ses frères et soeurs qu'elle repartait pour New York City cet après-midi. Et s'ils avaient demandé comment, elle leur aurait surement expliqué qu'il viendrait la chercher. Sans parler qu'il n'aurait jamais pu entrer s'il n'avait dit que ce qu'il avait dit à la barrière. Donc la famille était au courant. Y compris le père. Il hoche la tête lentement, confirmant le plan de la journée.

- Cela nous permet de passer plus de temps ensemble et cela lui évite de grimper dans une voiture. Sans doute que le père n'ignorait pas l'accident et le traumatisme qu'Héra avait subi. Il regarde le majordome d'un oeil méfiant alors qu'il continue toujours de parler. Et puisque j'étais déjà ici... avoir une conversation le temps de l'attendre ne me dérange pas.

- Donc c’est vous, le fameux… Lee? Pourquoi il a l'impression que c'est dédaigneux ? Lee serre les dents et hoche lentement du chef. Oui, c'est lui le "fameux" Lee. J’ai brièvement entendu parler de vous par ma fille... Obligé, sinon il n'aurait même pas son prénom. Mais il faut avouer qu'il a une petite pointe de fierté qui ressort quand il imagine que Héra a parlé de lui. Ca le ferait presque sourire s'il ne devait pas se contrôler devant l'homme en face de lui. mais je souhaitais me faire ma propre opinion en m’entretenant directement avec vous. Evidemment. Ainsi, vous fréquentez donc Héra depuis quelques temps déjà… Voilà, l'ouverture des hostilités allaient commencer. Le torero avait sa pique planquée quelque part et tout ce que Lee devait faire, c'était foncé droit dessus et éviter de se faire harponner. Vous vous êtes rencontré dans un cours de danse je crois me rappeler? Oh ! Jolie entrée en matière. Lee hoche du chef. Vous en faites depuis longtemps? En faites-vous votre métier?

- C'est exact, Monsieur. Depuis janvier lorsqu'elle s'est inscrite au cours de salsa. La professeure me l'a proposée comme partenaire, car elle sait que je peux guider et me concentrer sur une cavalière. Héra n'avait pas le niveau à ce moment-là et la professeure devait continuer à enseigner aux autres. Je pratique les danses de salon depuis plusieurs années, oui. Mais non, ce n'est pas mon métier, juste une passion.

Le plus âgé sert les deux verres avant de boire quelques gorgées du sien. Lee attrape l'autre servi et fait de même. Pourtant, il ne pose pas le verre de retour sur la table basse. Il le garde entre les doigts, s'amuse un instant avec le contenu en le faisant rouler dans le contenant. Les coudes sur les genoux. Il pourrait se tenir droit et guidé, parfaitement assis dans le fauteuil de cuir, mais il n'a pas le "déguisement" pour cela. S'il devait jouer le parfait gentleman, vêtements à l'appui, il n'hésiterait pas, mais il n'est pas catégorisé de cette manière par l'oeil de lynx en face de lui, alors il se contente d'être un peu lui-même pour une fois. Il boit de nouveau une gorgée, il vient de conduire deux heures en moto, sous un soleil plutôt ardent. Il a chaud et cette eau est la bienvenue. Il en boit d'ailleurs une nouvelle gorgée.

Thanos ne sait trop à quoi s’attendre de cette rencontre avec l’amourette de sa benjamine. Par contre, son objectif à lui est très clair : en apprendre le plus possible sur lui tout en lui faisant bien comprendre qui est le chef de cette famille. Héra est sa petite dernière, sa protégée. Il ne laissera personne lui faire du mal, intentionnellement ou pas. À un si jeune âge, la pauvre a déjà assez souffert comme ça en raison de ses mauvaises fréquentations.

Lee était assis devant lui, sur ce fauteuil, plutôt impassible, aucunement nerveux, presque détendue. Et tout ça, ça l’agace un peu. Mais bon, l’entretien vient à peine de débuter, il faut savoir être patient. Lee l’écoute parler, hoche de la tête sans un mot. Puis, alors que Thanos s’apprête à verser l’eau dans les verres, Lee tente une réponse à ses questions.

Ainsi, ils ne se connaissent pas depuis très longtemps, Héra l’avait d’ailleurs déjà mis au parfum. À priori, il n’y a pas de mal à faire des rencontres dans le contexte d’un cours de danse, mais tout de même, cette différence d’âge le titille encore un peu. Il est vrai que cela reste préférable à une rencontre dans un bar miteux, avec une musique trop forte et de l’alcool imbuvable. Enfin, toujours est-il que les deux tourtereaux avaient une passion commune. Soit. Ce n’est pas avec ça que l'on bâti un couple fort et solide. Ça prend bien plus que cela. Avait-il ce qu’il faut, ce… Lee? Déjà, avait-il un nom? Une famille? Ou seulement de sordides squelettes cachés dans son placard, d’inavouables secrets?

Lee prend le verre d’eau que Thanos lui a offert, mais au lieu d’y boire de manière civilisée, se contente de faire tournoyer la flotte, manquant de justesse de renverser le tout au sol. Le dos vouté vers l’avant, les coudes sur les genoux, Thanos parvient difficilement à contenir son regard hautain et son air de dégout en l’observant se comporter de la sorte. Lee fini enfin par se désaltérer, mettant fin à son petit manège, permettant alors à Thanos de se concentrer sur ce qu'il s'apprête à dire.

- Janvier. C’est tout récent. Ça fait très peu de temps pour apprendre à se connaître, dit-il tout en rattrapant son verre pour s’y désaltérer avant de le redéposer sur la table et croiser ses jambes, le visage légèrement renfrogné. Mais vous, par exemple, vous connaissez déjà son nom, les membres importants de sa famille… Quand est-il de la vôtre, Lee? Habite-elle à New-York?

Il ne s’attend pas particulièrement à être renversé par ses réponses. Du revers de la main, il balaye sa cuisse pour y retirer un mousse indésirable. Il se rappelle alors qu’il y a une autre question qui le tracasse depuis un bon moment. Héra lui avait mentionné qu’il travaillait dans “le commerce”. Il n’avait pas poussé beaucoup plus loin, les réponses d’Héra étant évasives. Elle faisait de son mieux, mais au fond, elle en avait aucune idée, sans doute parce qu’il ne lui avait donné aucun détail. Thanos accorde une grande importance à ce qu’on choisit de faire de sa vie. Il n’a pas l’intention de confier la main de sa fille à une personne dans une situation précaire ou qui soit sans ambition.

- Ah, et j’oubliais si vous ne faites pas de la danse votre métier, quel est-il dans ce cas, votre travail? Ça m’intéresse grandement, donc ne lésinez pas sur les détails, je vous en prie.

Les bras sur les accoudoirs du fauteuil, Thanos est finalement à ses aises. Il délaisse son air sépulcral et esquisse enfin un léger sourire à la commissure de ses lèvres. Il faut bien faire un effort, sinon, pourquoi Lee voudrait-il se confier à lui?

L'Heure du Jugement

Tout récent, tout récent, on est au début du mois de juin, c'était largement plus que suffisant, à son gout, mais le jeune homme ne dit rien contre, il ne montre rien non plus, gardant un visage impassible et impossible à lire. Il était peut-être bien plus jeune que l'homme en face de lui, mais il avait eu maille à faire avec des policiers, il savait comment se comporter pour ne rien divulguer. C'est seulement lorsqu'il rentrait en grosse colère que là, il ne se retenait plus. Donc oui, pour Lee, 6 mois, ce n'était pas récent. Surtout qu'il avait dragué Héra pendant tout un mois avant de se mettre ensemble. Cela ne lui ressemblait pas, il draguait beaucoup plus rapidement ces dernières années.

Apprendre à se connaitre ? Oh, mais Lee n'était pas peu fier de savoir déjà pas mal de trucs sur Héra. Et surtout sur la famille. Il y avait parmi ses enfants plusieurs qui ne regardait pas l'honneteté du bon côté. Surtout une, visiblement, mais cette information-là, il ne souhaite pas la dévoiler. Comme on mène l'atout 1 jusqu'au bout au tarot pour marquer le plus de points. Il veut garder ce joker le plus longtemps possible. Le padre familia s'enfonce dans le siège et lance l'intérogatoire. Lee hoche lentement du chef. Oui, il connait le nom de famille, il connait la réputation des Zaïmis, il connait les membres importants. Enfin... "connaitre" est un bien grand mot, disons qu'il a cotoyé certains...

Et puis, sans le savoir, Thanos touche un point sensible. Un nerf à vif. Lee s'était presque préparé. On peut s'attendre à la douleur, mais on ignore toujours à quelle intensité. Et parler de la sienne, de cette f... qu'il déteste, ça... ça, il ne peut pas. Le jeune homme serre la machoire. Il ne doit surtout pas commettre d'impair, le despote n'hésiterait pas une seule seconde à interdire la fille de le revoir, lui. Il n'a pas l'intention de mentir. Mais il ne compte pas dire la vérité en tout cas. Pas question qu'on arrive à le pister de ce côté. Il nie simplement du chef, dans un premier temps, afin de lui laisser quelques instants pour trouver les bons mots.

- Non. Ce n'est pas un mensonge. Et puis, cela s'entend dans la voix. Il a l'accent britannique qu'il ne cache pas. Elle n'est même pas de ce continent.

Cela lui coute énormément de parler de ces personnes. Il ouvre à peine la bouche quand il prononce cette phrase. Là encore, il n'a pas menti. Libre à Thanos de comprendre qu'il vient d'Angleterre... ou pas. Et puis, le vieux revient sur le sujet de la danse. Et il demande des explications sur son "travail". Dire qu'il est marchand de rêve serait une faute. Il lui faut trouver une parade. D'ailleurs, le filou insiste pour connaitre les détails. Un petit mensonge serait peut-être le bienvenu alors. Mais Lee hésite. Il a déjà construit beaucoup de mensonge autour de son métier, il n'a aucunement intéret à se faire mal voir des Zaïmis. Alors il va user d'une autre technique, l'attaque de front. C'est risqué. Très risqué face à un homme comme Thanos Zaïmis. Mais qu'importe, au fond, Lee adore les défis.

- Soyez franc, Monsieur Zaïmis. Vous vous fichez bien de mon métier. Tout ce qui vous intéresse, c'est savoir si je conviens financièrement à votre fille. Lee pose le verre sur la table, se lève, s'éloigne du fauteuil et marche jusqu'à la porte fenêtre pour observer dehors. Cela serait un mensonge de dire que mon patrimoine est largement suffisant pour vous convaincre. Mais je n'ai pas à me plaindre. Je vis dans un bon appartement, je n'ai aucune dette. Lee se tourne vers Thanos sans quitter la fenêtre. Héra aime la simplicité et je n'ai pas de prétention financière à son égard.