Savez-vous que le feu a son odeur propre ? J'ai toujours aimé l'odeur du feu, sentir sa chaleur sur ma peau, et voir les flammes danser. J'aurai pu devenir pyromane ou pompier, mais j'ai choisi la voie de la légalité.
Aucun incendie n'est pareil, aucun feu n'est pas pareil. Le feu a sa vie propre et même lorsqu'il parait éteint, parfois il ne fait que dormir sous la cendre et c'est ça qui est dangereux car il peut repartir au moment où vous vous y attendez le moins, et ce même plus d'un jour après son apparente fin.
Les incendies sont toujours pris au sérieux, et plus encore à New York où les habitations sont souvent très collées. Des milliers de vie peuvent être en danger en un instant. Il ne s'agit bien souvent pas que de l'immobilier alors il faut faire vite, chaque seconde peut signifier un mort supplémentaire ou l'étendue du feu.
Cela fait un peu près dix minutes que nous sommes sur place et déjà plusieurs d'entre nous sont entrés, lorsqu'ils sortiront, ce sera à mon tour d'entrer. Nous nous relayons pour souffrir moins de la fournaise. Un des premiers dogmes du pompier est de se sauver lui-même avant tout mais bien sûr ce n'est pas toujours ce que je fais... pas toujours ce qu'il est possible de faire non plus.
Les ambulances tardent à venir et je n'entends même pas leurs sirènes. Peut-être y-a-t-il un incendie ou plusieurs dans d'autres parties de la ville. Pour l'heure mon talkie est réglé sur cet incendie afin de ne pas me laisser perturber par un autre. Un à la fois... Je ne peux être partout.
Enfin c'est mon tour et je m'engouffre le bâtiment avec deux de mes collègues. Le rez-de-chaussée est sain, c'est par le bas que nous entrons. Mon arrachement est lourd mais j'ai l'habitude de son poids et de l'exercice et je monte l'escalier dans un rythme régulier, étage après étage. Nous avons presque de la chance... L'incendie est pour l'heure localisé au dixième étage...
Dans l'escalier, en sens inverse, des personnes descendent, j'entends des toux, des cris et des pleurs. Tout le monde est encore loin d'avoir évacué et de ce que je sais, aucune ambulance n'est encore sur place...
Alors que je monte l'escalier, il fait de plus en plus sombre, la fumée s'épaissit... enfin c'est l'étage... Je sonde, je regarde, avec ma hâche je suis censé enfoncer les portes fermées où la vie se trouve encore. Une femme paniquée m'interpelle. Sa fille était dans la salle de bain et elle ne répond pas, elle est e larme... Je la suis.
C'est l'appartement en face de celui du départ de l'incendie... le sol est rongé par les flammes, il fait chaud, la femme veut continuer, elle suffoque... je lui intime de sortir... que je vais faire mon possible pour sa fille. Elle hurle, elle lutte... Mon collègue ne chipote pas et l'assomme puis repars avec elle dans l'escalier et moi j'entre.
Tout est en feu, les rideaux sont tombés, le canapé brûle dans une odeur désagréable que je sens même à travers mon masque. Sans mon équipement, je serais sans doute déjà à terre. Il fait mourant... Au fond, une porte fermée, la salle de bain je suppose. Je calcule les risques... Je hurle de se reculer même si je me doute de ce que je vais trouver derrière la porte, et puis je frappe cette dernière de ma hache, une fois, deux fois, trois fois. Le bois vole, un trou se forme. Je l'agrandis, et je déverrouille enfin la porte de l'intérieur en passant mon bras. Sur le sol, la jeune fille, inanimée... Intoxication au CO², je le suppose... elle respire encore... Je la prends dans mes bras et je sors de l'appartement. C'est à mon tour de descendre l'escalier avec un précieux fardeaux.
Lorsque j'arrive enfin dehors, je cligne des yeux sous le soleil. Une seule ambulance se trouve là, une seule, et les médecins semblent débordés. J'ouvre mon casque et je m'approche.
Une journée un peu particulière pour Ashton. Enfin en repos ! Cela faisait un moment qu'il n'avait pas pris de jour de repos. Il était sur sa moto, se rendant chez des amis, lorsqu'il aperçut un incendie ravager un appartement dans l'une des ruelles de Midtown. Les victimes, sorties in extremis du bâtiment par les pompiers, s'amassaient sur la route, barrée par les camions. Une seule ambulance était arrivée pour prendre en charge les blessés, mais les infirmiers semblaient complètement débordés. Ce n'était pas un euphémisme, ils étaient véritablement submergés. Normalement, une ambulance est prévue pour un patient ; là, ils étaient plus d'une dizaine sur le bitume.
Certains auraient sûrement passé leur chemin, pensant que ce n'était pas à eux de s'en occuper, mais Ashton n'était pas de ce genre. S'il était devenu médecin, c'était avant tout pour aider, soigner, soutenir. Il gara sa moto sur le trottoir avant de s'avancer devant les barrières que la police avait installées pour empêcher les curieux de trop s'approcher. Même la police apportait son aide aux blessés, mais sans matériel adéquat. Ashton montra sa carte de médecin de l'hôpital central de New York, et le policier devant lui n'hésita pas longtemps avant de le laisser passer.
Le médecin sur place avait déjà trié les blessés par la gravité de leurs symptômes. Les blessés les plus graves étaient traités en priorité, les cas moyens étaient sous surveillance constante, et les légers devaient attendre les autres ambulances pour recevoir des soins. Ashton prit immédiatement les choses en main, rejoignant les infirmiers débordés pour leur prêter main-forte. Il savait que chaque minute comptait et que son aide pourrait faire une différence cruciale pour les victimes de cet incendie.
Après un rapport rapide du médecin de l'ambulance, le seul autre sur place, Ashton récupéra la dernière valise médicale encore disponible dans le véhicule avant de se diriger vers une femme parmi les prioritaires aux soins. Elle était encore inconsciente, ayant des difficultés à respirer. Ashton s'accroupit à ses côtés, vérifiant immédiatement ses voies respiratoires. Il installa une sonde endotrachéale pour s'assurer qu'elle recevait suffisamment d'air, surtout après avoir remarqué que sa trachée était brûlée. Il sentit une pointe de stress monter en lui, mais il l'écarta rapidement. Chaque geste devait être précis, chaque décision rapide mais réfléchie.
Le bras droit de la victime était sérieusement brûlé. Ashton fouilla dans la valise médicale et en sortit une crème spéciale contre les brûlures sévères, qu'il appliqua délicatement, prenant soin de ne pas endommager les tissus encore sains. Il retira doucement le bracelet de la femme avant de bander son bras avec une bande de gaze.
La situation était chaotique, mais Ashton garda son calme. Il demanda à un pompier à proximité de lui apporter une civière et des couvertures thermiques pour maintenir la femme au chaud. En attendant, il vérifia ses constantes vitales, notant un pouls faible mais régulier. Il entreprit de stabiliser sa respiration en utilisant les outils disponibles dans la valise médicale, tout en continuant à communiquer avec les autres membres de l'équipe médicale pour coordonner les soins.
Finalement, ce n'était pas très différent des urgences, sauf qu'ici, il travaillait en pleine rue. Alors qu'il stabilisait la femme, il remarqua un des pompiers arriver avec une petite fille, inconsciente. Ses vêtements étaient noirs de suie, marqués par les flammes et la fumée. Ashton, sans perdre un instant, se leva pour examiner la jeune victime, conscient que chaque seconde était précieuse.
"Posez-la ici," demanda-t-il au pompier, voyant toujours le bâtiment derrière brûler. Il espérait sérieusement que tout le monde avait été évacué, car voyant l'état de la petite fille, c'était un véritable brasier là-dedans.
La petite fille, environ huit ans, présentait des signes évidents d'inhalation de fumée et de brûlures superficielles sur les bras et le visage. Ashton évalua rapidement sa respiration, constatant qu'elle était irrégulière. Il prit une autre sonde endotrachéale de la valise et l'inséra avec précaution pour dégager ses voies respiratoires.
"Elle a besoin d'oxygène immédiatement," dit-il à un infirmier proche, qui s'empressa de lui apporter un masque à oxygène.
Tout en administrant l'oxygène, Ashton vérifia les autres blessures de la fillette. Heureusement, aucune ne semblait menaçante pour sa vie. Il appliqua une crème pour les brûlures sur ses bras et son visage, puis les recouvrit de bandages stériles.
Elle présentait des symptômes d'une intoxication sévère au CO2, mais quelque chose préoccupait encore plus Ashton. Alors qu'elle avait encore le masque, des résidus noirs sortaient en même temps que l'air dans ses poumons. Elle était aussi intoxiquée à des produits chimiques. Ashton la piqua avec un cathéter branché à une poche de chlorure de sodium pour l'hydrater. Dès son arrivée à l'hôpital, elle passerait au bloc où une sonde serait certainement enfoncée jusqu'à ses poumons afin d'en extraire ce qui s'y trouvait. En attendant, Ashton ne pouvait rien faire de plus.
Un pompier arriva avec une couverture thermique pour la fillette, et Ashton la couvrit soigneusement, s'assurant qu'elle restait au chaud. Il vérifia à nouveau ses constantes vitales : son pouls était faible mais stable.
"Nous avons besoin de plus d'ambulances," lança-t-il à un policier à proximité. "Ces deux-là doivent être transportées à l'hôpital dès que possible, et la fillette opérée en urgence." Tous les blessés en état prioritaire devaient être transportés à l'hôpital.
Le policier hocha la tête et parla rapidement à sa radio pour demander où en étaient les renforts. Ashton, en attendant, continua de veiller sur ses deux patientes, sachant que chaque instant comptait.
L'homme qui m'indiqua de poser la petite fille sur le sol était en civil et portait un brassard indiquant son statut de secours. Il devait avoir été réquisitionné dans la rue où il s'était peut-être tout simplement porté volontaire ce qui était admirable en soi. Je lui souris. Je le regardais faire un instant et de ce que je pouvais voir, ses gestes étaient surs et rapides. Il semblait avoir l'habitude d'agir sous pression et des situations de crises. Intérieurement, je me disais qu'il aurait fallu qu'on en aille plus des comme lui. Parfois les secours qui venaient sur les lieux, c'était assez folklorique.
Certains de mes collègues tentaient toujours de garder le feu en respect mais je pouvais d'ors et déjà dire que le bâtiment était foutu. Même si certains logements ne seraient pas touchés par le feu ou l'eau, il ne faisait aucun doute que la fumée et les odeurs resteraient longtemps dans les murs, et ça c'était dans le meilleur des cas, si la structure interne du bâtiment n'était pas touchée. Sinon il faudrait l'abattre.
Pour l'heure, je ne pouvais plus faire grand chose car entrer une nouvelle fois dans le bâtiment tant que le feu faisait rage aurait relevé de l'inconscience la plus totale. Lorsque l'intensité baisserait, je prendrai une lance à incendie et j'entrerai à nouveau mais pour l'heure je me devais de me tenir tranquille et de respirer un peu en attendant ma seconde vague d'action. J'enlevais mon casque et regardait l'homme qui passait de patient en patient.
« Je ne suis pas médecin mais j'ai des notions de premiers secours, vous avez des petites tâches que je pourrai faire pour vous aider en attendant de pouvoir retourner au feu ? »
Mon statut de pompier me donnait une minuscule légitimité dans ce cas précis car oui, lors de mes études, on avait eu tout un pan sur les premiers secours, les gestes à poser, quelques bases en somme. Je n'étais certainement pas à la hauteur d'un infirmier qualifié ou d'un parfait assistant médical, mais je devais pouvoir me rendre utile dans un premier temps. Je détestais rester sans rien faire, les bras ballants, alors que tous étaient agités. En attendant que les autres ambulances arrivent, chaque pair de bras me semblait bonne à prendre.
Une seconde ambulance débarqua mais c'était encore bien trop peu. Je n'avais aucune idée de ce qui se passait en ville, mais ici en tout cas, nous aurions des pertes, beaucoup de pertes, c'était certain. J'espérais qu'on ne mettrait pas encore cela sur le dos des pompiers parce que très nettement, nous faisions vraiment ce que nous pouvions, tout comme ces gens de la médecine.
« Deux malheureuses ambulances, on est pas rendu... Mais qu'est-ce qu'ils foutent bon sang... »
Ashton se redressa un instant, prenant une profonde inspiration. La situation restait tendue, mais chaque geste comptait pour stabiliser les blessés en attendant les renforts médicaux. Lorsqu'il entendit le pompier s'adresser à lui, il tourna la tête et remarqua l'homme en civil avec le brassard de secours. Ashton apprécia l'initiative et l'offre d'aide de cet homme qui, malgré son manque de formation médicale approfondie, souhaitait se rendre utile.
"Merci pour votre offre," dit Ashton avec un sourire rassurant. "Vous pouvez vraiment faire la différence ici." Les pompiers ont normalement une formation au premier secours alors toute aide est largement là bien venue. Il prit un moment pour évaluer rapidement où l'aide serait la plus nécessaire. "Vous voyez cette femme âgée là-bas ?" Ashton pointa du doigt une dame assise sur le trottoir, encore tremblante malgré la couverture sur ses épaules. "Elle a besoin de surveillance constante. Pouvez-vous rester avec elle, lui parler doucement, la rassurer ? Assurez-vous qu'elle continue de boire de l'eau par petites gorgées. Surveillez sa respiration et son pouls si vous pouvez. Si vous remarquez quelque chose d'inhabituel, appelez-moi immédiatement."
Ashton fit une pause, regardant les environs pour identifier d'autres tâches potentielles. "Aussi, voyez cet homme avec la plaie suturée sur le front et les brûlures ? Il a besoin d'être surveillé également. Si vous pouvez vérifier régulièrement ses bandages et lui apporter un peu d'eau, ce serait formidable." Il regarda l'homme dans les yeux, reconnaissant la détermination et la volonté d'aider dans son regard. "Je sais que ce n'est pas facile de rester sans rien faire, surtout pour quelqu'un habitué à l'action comme vous. Mais votre présence et votre soutien peuvent réellement aider ces gens à se sentir en sécurité, ce qui est crucial dans des moments comme celui-ci." Ashton fit un signe de tête encourageant. "Nous sommes une équipe ici, même si nous venons de milieux différents. Chaque petite action compte. Merci encore pour votre aide."
Tout en parlant, Ashton continuait de jeter des coups d'œil autour de lui, s'assurant que ses instructions étaient suivies et que les patients étaient bien pris en charge. Il savait que la coordination et l'organisation étaient essentielles dans ce genre de situation. "Je vais continuer à m'occuper des patients les plus graves. N'hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin de quoi que ce soit ou si quelque chose vous inquiète." Avec un dernier sourire d'encouragement, Ashton se remit au travail, prêt à intervenir dès que les besoins se feraient sentir, conscient que chaque minute gagnée pouvait sauver une vie.
Habillé d'un pantalon propre à la fonction, je ne portais un t-shirt blanc sur le dessus car j'avais enlevé mes surprotections le temps de ma brève pause. Brève car je devrai retourner au feu, je le savais pertinemment. Cela dit cela ne sautait pas forcément aux yeux pour une personne non habituée que j'étais pompier et c'est pourquoi j'avais placé sur mon bras un brassard de couleur vive.
« C'est pour cela que je suis là »
Des consignes simples, précises. J'avais l'impression que cet homme était habitué à diriger des équipes, un peu comme moi en vérité et je lui répondis par un hochement de tête et un sourire. Qu'y avait-il à dire de plus alors que chaque seconde pouvait compter ? L'efficacité était la clef et chacun devait agir à son échelle, en mesure de ses possibilités.
Je commençais par faire ce qu'il m'avait demandé mais je savais déjà que je ne pourrai rester éternellement loin du feu. Mes collègues bientôt allaient me rappeler. Un collègue d'ailleurs m'amena un jeune garçon suffoquant et me le laissa dans les bras avant de disparaître. Il était resté trop longtemps dans la fumée, pour moi il fallait directement le placer sous oxygène mais... Je n'étais qu'un aidant ici, pas un médecin. Je cherchais du regard l'homme qui avait l'air de savoir ce qu'il faisait tout à l'heure et lorsque je l'avisais, je me précipitais à grandes enjambées vers lui.
« Un collègue vient de me l'amener, insuffisance respiratoire et mains brûlées, il a tenu une couverture sur sa tête pour avancer dans les flammes mais ses mains à l'extérieurs ont pris... Pour le reste... Je m'en remets à vous. Voulez-vous que je bande ses mains pendant que vous regardez ses voies respiratoires ? »
Ashton examina à nouveau la petite fille, notant avec satisfaction que ses constantes remontaient. Voyant déjà trois ambulances arriver, il demanda à deux aides-soignants de sortir tout le matériel médical dont ils pourraient avoir besoin : des antidouleurs, des bandages, plusieurs pommades. Ils rassemblèrent rapidement le matériel avant que les ambulances ne puissent récupérer les blessés. Bien qu’aucune n’était encore arrivée, Ashton avait presque harcelé le policier afin que les ambulances se dépêchent d’arriver. C’était inconcevable : sept hôpitaux à New York et aucune ambulance n’était encore là.
Alors qu’il mettait la jeune fille sur un brancard pour la préparer pour la première ambulance qui venait d’arriver, Ashton suivait les ordres : les blessés les plus graves devaient être transportés en premier. Mais au moment où Ashton détourna le regard vers des pompiers encore dans le bâtiment, le capitaine l’interrompit : "Nous avons encore quelqu'un dans l'appartement, vite." Ashton observa l'arrivée du pompier portant un jeune garçon dans ses bras. Il remarqua immédiatement la détresse respiratoire de l'enfant et les brûlures sur ses mains. Avec une efficacité calme, il hocha la tête en réponse aux paroles du pompier. "Merci de l'avoir amené ici rapidement," dit Ashton, sa voix calme et posée. "L'oxygène est effectivement la priorité." Mais un détail attira son attention : l'enfant sifflait en respirant, signe évident d'une crise d'asthme. Ashton réagit immédiatement. "Infirmier, une sonde endotrachéale, vite."
"Il n'en reste plus, docteur," répondit l'infirmier, la voix tendue.
C'est pas vrai, pensa Ashton, cherchant rapidement une solution alors que le garçon s'étouffait, incapable de respirer. Ashton était habitué à réagir vite. Il vérifia la trachée de l'enfant : elle était complètement obstruée. "Donnez-moi des gants de chirurgien, un tube canule et un scalpel," ordonna-t-il avec détermination. Ashton se concentra silencieusement, prêt à effectuer une trachéotomie d'urgence, une première pour lui en pleine rue. Il s'assura que le jeune garçon n'était pas conscient avant de dire : "Donnez-lui deux milligrammes de codéine," un puissant antidouleur.
On lui donna les gants à peine sortis de leur emballage. Ashton les enduisit rapidement de désinfectant. C'était une situation très rudimentaire, mais il n'avait pas le choix : soit il dégageait les voies respiratoires en contournant la trachée, soit le garçon mourait d'asphyxie dans quelques secondes. Un urgentiste lui apporta un scalpel également désinfecté. Ashton posa sa main gauche sur le cou de l'enfant. "Une fois que j'ouvre, insérez le tube," dit-il calmement. Il releva délicatement le menton du garçon et trancha la partie fine de la peau, permettant à un peu d'air de circuler enfin. "Maintenant !" Les deux infirmiers insérèrent le tube alors que du sang coulait le long du cou du garçon. Ashton ajusta le tube jusqu'à ce que l'enfant puisse enfin respirer. Il fit signe à une infirmière proche de lui apporter une bouteille d'oxygène. "Branchez-la au tube et commencez l'administration d'oxygène à un débit de 10 litres par minute," ordonna-t-il tout en évaluant l'état du garçon. Il se tourna ensuite vers le pompier, son regard intense mais rassurant.
"Oui, commencez à bander ses mains avec des pansements stériles, évitez autant que possible les frottements. Il faut prévenir toute infection." Ashton resta agenouillé à côté du garçon, posant une main légère mais ferme sur son front pour le rassurer. "Nous devons maintenir le tube et surveiller ses signes vitaux de près." Il sortit un stéthoscope et commença à écouter les poumons de l'enfant, cherchant des signes de détresse accrue ou d'inhalation de fumée. "Il a besoin d'être transporté à l'hôpital dès que possible," murmura-t-il, principalement pour lui-même, mais suffisamment fort pour que le pompier entende.
Ashton leva les yeux vers le pompier, voyant dans son regard la même détermination et urgence qu'il ressentait. "Votre aide est cruciale ici. Continuez à bander ses mains, parlez-lui doucement. Même s'il est inconscient, il peut peut-être vous entendre." Il se tourna vers une autre aide-soignante et lui fit signe de préparer une civière pour l'enfant. "Nous allons le stabiliser ici avant de l'envoyer à l'hôpital. Restez près de lui et surveillez ses signes vitaux. Je vais m'assurer que tout est prêt pour son évacuation." Il sortit une petite lampe et ouvrit les yeux de l'enfant, observant la réaction de ses pupilles. "Donnez-lui du sérum physiologique s'il en reste," demanda-t-il en notant la rougeur intense des yeux du garçon.
Ashton se redressa, jetant un dernier regard au pompier. "Vous faites un travail incroyable. Chaque seconde compte, et votre rapidité d'action a probablement sauvé sa vie. Merci pour votre dévouement." Il retourna à ses autres tâches, mais son esprit restait vigilant, prêt à intervenir si la situation du garçon s'aggravait.
Mon intuition est bonne mais je ne suis pas assez calé en médecin pour savoir ce que lui, médecin, sait. Je vois tout de suite dans ses gestes, dans ses paroles, qu'il sait ce qu'il fait, une fois de plus. J'ai l'impression que cet homme est partout. Il virevolte entre les cas sans faiblir.
Il semble que j'ai bien fait de lui amener l'enfant car il y a plus à faire que juste lui donner de l'oxygène. Je le vois ouvrir sa gorge d'un geste sûr et placer un tuyau dans sa trachée. Cette théorie, je la connais, on m'a donné quelques trucs pour la pratiquer en cas de véritable urgence mais jamais je n'ai eu à la pratiquer sur un corps vivant. Seul les mannequins d'entrainement ont subi mes essais et je suis reconnaissant à cet homme d'être là. Je ne détourne pas le regard sur le sang qui coule et j'attends qu'il me laisse bander les mains de l'enfant.
Lorsque j'ai terminé les soins, j'entends mon nom... Je dois me rhabiller. Il est temps que je retourne au feu. Je fais signe au médecin qui est reparti un peu plus loin sur un autre cas et voyant que je me relève, une autre personne prend ma place au près de l'enfant. Je souris, je suis fatigué mais la journée est loin d'être finie. J'essuie mon front dans une serviette que je balance et je retourne à grands pas près de mes collègues pour repasser mes protections. C'est à moi de prendre le tuyau d'arrosage et d'entrer mais je dois monter à la grande échelle car c'est par le haut que je vais procéder. Le matériel est lourd, encombrant, mais de cela j'en ai l'habitude. Ma tête protéger par mon casque, on ne voit plus mes traits. Je sue sous l'effort mais je tiens bon. La chaleur du brasier me lèche alors que je suis encore à distance et puis... j'entre par une fenêtre et j'enclenche l'arrivée d'eau alors que je m'avance. Une véritable fournaise, on y voit peu, on devine... j'avance. Je sais qu'encore une fois je risque de voir des horreurs, des corps entrain de brûler, des gens qui n'ont pu s'échapper. Mais toujours j'avance. L'incendie est loin d'être maîtrisé.
Ashton leva les yeux lorsque le pompier, désormais prêt à retourner au front, lui fit un signe de la main. Une expression de respect traversa le visage du médecin, bien que sa concentration restait focalisée sur la multitude de tâches à accomplir. Ashton savait que les efforts conjugués de toute l’équipe étaient cruciaux, et il ne pouvait s’empêcher d’admirer la bravoure du pompier qui, sans une once d’hésitation, s’apprêtait à replonger dans l’enfer du brasier.
Il observa brièvement le pompier s’éloigner, un colosse aux épaules larges, portant le poids non seulement de son équipement, mais aussi de la responsabilité de sauver des vies au péril de la sienne. Ashton se remit immédiatement au travail. La scène était chaotique, une succession ininterrompue de vies en péril, de blessures multiples, de douleur et de désespoir. Mais au milieu de ce chaos, Ashton trouvait un ordre méthodique, une voie tracée par la nécessité et l’urgence.
Le garçon auquel il venait de sauver la vie en pratiquant une trachéotomie d’urgence était maintenant entre de bonnes mains, ses constantes vitales surveillées de près, son état stabilisé autant que possible dans de telles circonstances. Le sentiment de devoir accompli ne dura qu’un instant avant qu’Ashton ne se déplace vers le prochain patient.
Il était partout à la fois, virevoltant entre les blessés, prenant des décisions cruciales en un battement de cœur. Le souffle court, le regard acéré, il remarqua une femme souffrant de graves brûlures. "Amenez-moi une civière ici !" ordonna-t-il d’une voix ferme. Il s'agenouilla près de la femme, ses yeux cherchant immédiatement les signes de choc ou de détresse respiratoire. "Nous allons vous aider, restez calme," murmura-t-il d'une voix douce mais assurée, en examinant l'étendue des brûlures.
Ashton savait que chaque seconde comptait, chaque mouvement devait être précis et efficace. "Apportez-moi des compresses stériles, trempées dans de l'eau froide," demanda-t-il, tout en retirant délicatement les vêtements brûlés de la femme, veillant à ne pas aggraver ses blessures. L’équipe autour de lui réagissait instantanément à ses directives, les gestes bien rodés et rapides. Ashton appliqua les compresses, cherchant à soulager la douleur, à prévenir une infection.
Les cris, les sirènes, les ordres criés remplissaient l'air, mais Ashton restait concentré, les mains stables, la respiration contrôlée. "Préparez de la morphine," indiqua-t-il à un aide-soignant, avant de se tourner vers un autre patient, une jeune femme prise de panique, ses yeux écarquillés, respirant avec difficulté. Ashton s'approcha d'elle, posant une main rassurante sur son épaule. "Respirez avec moi, lentement," dit-il, adoptant un ton calme pour l'apaiser. "Inhalateur, vite," ordonna-t-il en regardant un infirmier.
Le pompier, pendant ce temps, se préparait à ré-entrer dans l'immeuble en flammes. Ashton l’avait vu grimper sur la grande échelle, son équipement lourd sur ses épaules, son casque couvrant ses traits. Il savait ce que cet homme allait affronter, l'horreur des corps brûlés, des vies qui s'éteignent avant même qu'elles ne puissent être sauvées. Ashton sentit un frisson le parcourir malgré la chaleur étouffante. Ils étaient tous ici pour une raison, chacun jouant son rôle avec un courage inébranlable.
"Elle est stabilisée," dit Ashton à une infirmière, se relevant avec un soupir silencieux, se préparant déjà à traiter le prochain patient. "Transférez-la dès que possible," ajouta-t-il avant de s'éloigner. Ses yeux parcouraient la scène, évaluant rapidement où il serait le plus utile. Les pompiers combattaient encore les flammes, et Ashton savait que plus de blessés allaient arriver.
Il croisa brièvement le regard du pompier avant qu'il ne disparaisse dans l'épaisse fumée à l'intérieur du bâtiment en feu. Ashton se força à détacher son esprit de cette image. Il devait rester concentré sur ceux qu'il pouvait aider, ici, maintenant. Le pompier avançait dans l'enfer, et Ashton dans un autre type de combat, mais les deux hommes étaient unis par la même mission : sauver des vies, coûte que coûte.
Revenant auprès d’un autre blessé, Ashton s’agenouilla de nouveau, prêt à poursuivre cette course contre la montre, où chaque seconde pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Les flammes rugissaient en arrière-plan, mais Ashton ne faiblit pas. Il était le roc sur lequel les autres pouvaient compter, un phare dans cette tempête de feu et de douleur. Le combat était loin d’être terminé, mais il était prêt à continuer, aussi longtemps qu'il le faudrait.
Alors que les deux premières ambulances quittaient la scène, transportant les blessés les plus graves vers l'hôpital le plus proche, deux autres ambulances arrivèrent en renfort. Le bruit des sirènes perça l'air déjà saturé de cris et de l'odeur de fumée, apportant avec elles un espoir renouvelé.
Chaque instant comptait dans un tel moment. Le médecin était à son ouvrage et moi je me préparais pour retourner au feu. Il n'était pas temps de discuter. Le temps pressait. Un collègue allait surement prendre la relève auprès des médecins si c'était possible, mais de cela je n'en étais pas très sûr. Il fallait que nous arrivions à juguler l'incendie pour ne pas qu'il se repende plus encore.
En passant mes protections, un collègue m'informa que selon lui toutes les victimes étaient désormais hors du bâtiment, du moins pour celles en vie. J'espérais de tout cœur que personne n'avait été oublié.
Une fois ma visière baissée, mon oxygène et mon matériel bien en place, je m'emparais du tuyau et je pénétrais dans l'incendie pour l'arroser de l'intérieur. C'était une fournaise et je sentais la sueur couler dans mon casque, sur mon corps, dans mon dos. Je ne sais pas combien de temps je suis resté à l'intérieur. J'ai eu l'impression d'une éternité avant que je sois relayé à mon tour. A quatre reprises je suis allé au feu et désormais les flammes ne sont plus. Il émane toujours de la bâtisse une grande chaleur mais je pense que nous avons vaincus le feu désormais. Je souris et plein de fatigue, j'ôte mon casque.
Dehors, il n'y a plus d'ambulance désormais et le premier camion de pompier démarre avec des hommes. Pensif je regarde les lieux, cherchant presque machinalement ce médecin qui s'est tant donné. Je me demande s'il est rentré chez lui ou si comme moi il regarde la scène en tentant de reprendre un rythme normal.
Ashton se tenait en retrait, légèrement en dehors de l’agitation qui s’étiolait peu à peu. Le chaos qui avait régné toute la journée touchait enfin à sa fin. La dernière ambulance s'éloignait en filant dans la nuit, emportant à son bord les blessés les plus critiques vers des établissements hospitaliers mieux équipés pour traiter leurs plaies profondes, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Un lourd silence régnait désormais, seulement perturbé par le faible crépitement des braises qui achevaient de se consumer et par les murmures bas des survivants encore sous le choc. Ashton inspira profondément, l’air saturé d'une chaleur étouffante et de l'odeur âcre de la fumée, ce mélange familier qui lui rappelait à la fois la fin d’une bataille et le début d’un autre combat, plus insidieux.
Ses mains, noircies par la suie et tachées du sang des victimes, reposaient mollement le long de son corps. Pourtant, il restait immobile, son regard rivé sur l'immeuble calciné, qui continuait d'émettre une chaleur oppressante malgré les flammes éteintes. L'épuisement se faisait sentir dans chaque fibre de son être, comme si son corps, vidé de toute adrénaline, menaçait de céder à tout instant. Mais Ashton n'était pas encore prêt à partir. Il observait encore les pompiers, ces silhouettes courageuses et résilientes, qui s'affairaient autour des ruines, tentant de déceler les derniers signes de danger. Malgré leurs visages marqués par la fatigue, une expression indéfinissable de satisfaction perçait. Ils avaient vaincu cet incendie, comme tant d'autres avant lui. Mais celui-ci semblait différent. Pour Ashton, il avait un poids plus personnel, comme si ce feu avait pris quelque chose de plus profond, de plus intime, en chacun d’eux.
Son regard, comme aimanté, finit par se poser sur une silhouette qu’il avait suivie du coin de l'œil depuis plusieurs heures — ou peut-être n’étaient-ce que quelques minutes ? Dans l’urgence et l’effervescence d'une telle situation, la notion du temps s’effaçait. C'était ce pompier massif, aux épaules larges, qu'Ashton avait vu affronter les flammes sans hésitation. Plus tôt, son visage était masqué par une visière abaissée, une armure impénétrable face au danger. Maintenant, alors que la fumée se dissipait et que la lutte touchait à sa fin, Ashton le regardait retirer son casque. Ses cheveux, collés par la sueur, retombaient en mèches désordonnées autour de son visage marqué. La fatigue creusait ses traits, mais dans ses yeux, une lueur de soulagement luisait faiblement. Ils avaient tous survécu. Tous.
Ashton, dans un geste presque automatique, avança vers lui. Ses pas étaient lents, pesants, comme s’il traînait avec lui le poids de cette journée interminable. Chaque intervention, chaque geste chirurgicalement précis repassait dans son esprit, comme un film en boucle. Il revivait chaque vie sauvée, chaque décision critique prise en une fraction de seconde. Il savait qu’il ne pouvait pas sauver tout le monde, une réalité qui l’écrasait toujours un peu plus à chaque mission. Mais aujourd’hui, plus que jamais, il avait fait tout ce qui était humainement possible. Et cette pensée, bien que réconfortante en surface, laissait un arrière-goût amer.
Arrivé à la hauteur du pompier, Ashton leva un regard empreint d’une admiration silencieuse. La fatigue dans sa voix trahissait l’intensité de la journée qu'ils venaient de vivre.
"Vous avez fait un boulot incroyable là-dedans," dit-il d'une voix rauque, presque étouffée par le poids de ses propres émotions. Son ton était neutre, mais ses yeux parlaient pour lui. Derrière ces quelques mots banals se cachait une reconnaissance sincère. "Je ne sais pas comment vous faites pour retourner dans ces flammes encore et encore."
Il laissa ses mots flotter un moment dans l’air lourd, attendant une réponse du colosse face à lui. Ashton n’était pas quelqu’un de bavard. Il parlait rarement pour ne rien dire, surtout dans ces moments-là, quand le silence semblait être la meilleure réponse face à la destruction et au chaos.
Après un instant, il brisa de nouveau le silence, posant une question qui semblait suspendue dans l’air, aussi pesante que les cendres qui retombaient doucement sur le sol calciné.
"Est-ce que vous pensez que c’est vraiment terminé ?" demanda-t-il, ses yeux reflétant une inquiétude que peu de mots pouvaient apaiser. Ashton savait bien que, même quand les flammes étaient éteintes, le combat n’était jamais vraiment fini. Les cicatrices, visibles ou invisibles, restaient gravées dans les corps des victimes, tout comme dans les esprits de ceux qui avaient risqué leur vie pour les sauver. Les blessures mentales étaient souvent les plus dures à guérir, et Ashton le savait mieux que quiconque. Dans cette lutte contre le feu, chacun laissait une partie de lui-même derrière.