En souvenir du bon vieux temps

Cela fait bien deux semaines qu'il n'a plus eu de nouvelle d'Héra. C'est mieux ainsi. Il... Il ne doit plus la revoir. Il s'en veut terriblement. Cet accident, ça a déclenché quelque chose, en lui. Et ça fait deux semaines qu'il végète, qu'il rumine. La discussion épistolaire avec cet enf*iré de padre Zaïmis ne l'a pas aidé. Ou peut-être si, mais peut-être pas dans le bon sens. Il aime et aimera Héra jusqu'au bout, mais il sait qu'il ne peut pas aller la voir. Il se doute bien qu'elle est dans la maison familiale. Il ne veut pas la voir. Enfin, si, il veut la voir, mais... mais il s'en veut encore et... Il soupire, alors que son dos repose contre le mur dans l'ombre d'une ruelle. Vêtu d'un t-shirt blanc, d'un manteau sombre et d'un jean tout aussi sombre, il croise les bras et il attend. Il regarde. De l'autre côté de la rue. Il y a d'abord les clients qui sortent, puis une vieille femme qui ressemble étrangement à Manuela. Mais toujours pas de Manuela. Lui qui n'a pas forcément la patience comme compagne, il attend, son pied joue avec les petits graviers qui trainent là. Finalement, alors que l'heure se fait tardive, il voit la jeune femme sortir du restaurant et fermer le volet roulant. Il se dégage brusquement mur et avance prestement vers elle. Il ne doit pas la manquer. Il n'a pas envie de devoir tout recommencer.

- Ba... Manu ! Les vieilles habitudes ont la vie dure. Il a failli l'appeler "Baby Doll". Mais il se contente de son prénom. Il lève les avant-bras face à la réaction de la jeune femme. Il ne veut pas l'effrayer ou la faire déguerpir. Il n'a rien dans les mains et recule même d'un pas, pensant sans doute qu'il est trop prêt. Je... On peut parler ? Ca peut être louche, vu l'heure... Dans un bar, si tu veux... ou un endroit... public, comme tu veux. Je veux juste... parler.

Déjà quelques semaines s’étaient écoulées depuis l’incident qui avait secoué le petit restaurant mexicain de sa mère. D’ailleurs, Manuela n’avait pas eu le choix de tout lui raconter. Elle avait été tellement dévastée après cette rencontre qui avait fait remonter à la surface de bien affreux souvenirs. Sa mère n’approuvait pas la méthode utilisée par Manuela pour se faire justice, mais elle supportait malgré tout sa fille, coûte que coûte. Après tout, Lee lui avait fait subir bien pire.

Après l’incident, elle avait dû répondre à quelques questions des policiers, mais tout était rentré dans l’ordre et elle n’avait eu aucune nouvelles, ni de la police, ni de Lee, ni de la jeune femme. Elle supposait qu’il avait dû s’en sortir et être déjà remis sur pied. Et c’est bien ce qui l’inquiétait le plus. Manu avait d’ailleurs dû prendre quelques jours de congé tant les crises d’anxiété étaient fortes lorsqu’elle se retrouvait au restaurant, revivant en boucle ce qui s’était passé. Mais ce qui l’angoissait le plus, c’était de retomber nez à nez avec lui. Maintenant qu’il savait qu’elle travaillait au restaurant de sa mère, qu’est-ce qui lui empêchait de revenir pour la confronter? Ou pire, s’en prendre à sa mère, tout cela par pure vengeance! Manuela en faisait encore des cauchemars de temps en temps. Ainsi, même si c’était difficile, elle préférait donc travailler au restaurant de sa mère aussi souvent que possible pour garder un œil sur elle. À moins que ce ne fut plutôt l’inverse…? En fait, la mère et la fille avaient toujours veillé l’une sur l’autre, il n'en était pas autrement aujourd’hui.

C’est pourquoi ce jour-là, Manuela avait insisté pour s’occuper de la fermeture du restaurant. C’était une tâche ingrate, beaucoup d’entretien ménager, de rangement, sortir les poubelles. Si elle devait être la cible de ce fou furieux, elle préférait encore être seule face à lui. Ne mettre personne d’autre en danger, même si au fond d’elle, cette idée la terrifiait.

Sa mère avait quitté depuis déjà 45 minutes lorsque Manuela eut enfin terminé sa journée. Il ne lui restait qu’à fermer les lumières et le volet roulant. Une fois cela fait, elle se mit en route pour rejoindre la bouche de métro la plus près, sa voiture étant toujours au garage. Il faisait noir, la nuit était tombée depuis une heure ou deux déjà. Seules les silhouettes qui passaient devant le faisceau des réverbères étaient perceptibles dans la nuit.

Manuela n’avait fait que quelques mètres lorsqu’elle l’aperçut s’avancer vers elle d’un bon pas. Les battements de son cœur s’accélérèrent, ses membres devinrent engourdis, son estomac se noua. C’était Lee, c’était vraiment lui, il était là. Son pire cauchemar était en train de foncer droit sur lui, dans cette ruelle sombre où il n’y avait personne, personne qui pourrait lui venir en aide si ça devait tourner mal. Elle avait bien suivi quelques cours de boxe, donc peut-être qu’avec l’adrénaline, elle parviendrait à se servir de ses poings… mais pour l’instant, elle était plutôt tétanisée.

Il l’appela par son surnom. Un frisson lui parcourra l’échine. Elle se mit à reculer, pour mettre le plus de distance entre elle et lui tout en fouillant nerveusement dans ses poches pour mettre la main sur son téléphone ou peut-être ses clés. Une clé positionnée entre chacun de ses doigts, il pouvait s’agir d’une arme redoutable. Finalement, c’est le téléphone qu’elle agrippa en premier. Elle remarqua que Lee semblait vouloir l’amadouer, reculant, levant les bras pour montrer qu’il n’y a rien à craindre. Manuela n’était pas dupe. Du moins, elle ne l’était plus. En plus, elle lui avait fait beaucoup de tort. Il avait donc toutes les raisons de s’en prendre à elle. Sans quitter Lee des yeux, elle déglutit avant que quelques mots réussissent enfin à s’échapper de sa gorge.

- Par…ler? Non… non, j’ai pas le temps, j’ai pas le temps pour ça. Pas maintenant, pas… Je… j’ai…

Elle regarde nerveusement son téléphone, affiche ses contacts. Elle est à un doigt de pouvoir contacter un ami, sa mère ou qui que ce soit qui pourrait venir à sa rescousse, mais elle n’ose pas. Pourquoi? Parce qu’elle essaie d’agir normalement, ne pas montrer à Lee qu’elle a peur, même s’il doit bien s’en douter.

- Je… Je crois pas qu’on ait quoique ce soit… à se dire… Lee. Je préfère… je préfère qu’on en reste là.

Elle remet son téléphone dans sa poche et continue de marcher d’un pas rapide dans une direction qui lui permet de s’éloigner de lui, même si cela implique de rallonger son trajet. De toute façon, elle n’irait jamais directement chez elle sachant qu’il pourrait la suivre. Elle espère qu’il ne le fasse pas, mais elle n’y croit pas vraiment. Lee n’est pas du genre à baisser les bras et n’accepte pas qu’on lui dise non. Les mains dans les poches, elle agrippe enfin ses clés. Elle les garde fermement dans sa paume devenue moite. Elle tourne maintenant dos à Lee, mais tous ses sens restent en éveil.

HJ:

En souvenir du bon vieux temps

Manuela prend peur dès qu'elle le voit. Il ne s'en rend pas compte sur le moment, trop concentré dans ses propres pensées, trop pressé de dire ce qu'il doit lui demander avant. Il se lance, demande un petit entretien et quand il s'aperçoit de la peur qu'elle tente de dissimuler en farfouillant ses poches, il propose alors un endroit public. Elle sait bien qu'il ne tentera rien dans un endroit public, non ? Elle fouille dans ses poches presque frénétiquement, il recule d'un pas, parce qu'il a pas envie de se prendre un jet de poivre dans la figure et peut-être que ce retrait suffira à la jeune femme de se calmer. Elle refuse. Manu dit qu'elle n'a pas le temps. C'est justement la raison pour laquelle il a attendu la fermeture. Il fronce les sourcils, ne comprend pas pourquoi elle lui dit ça.

Elle a tout le temps possible ! Finalement, de sa poche, elle sort le téléphone. Si elle veut filmer la scène, après tout, elle peut, il ne compte pas l'agresser en pleine rue, elle n'aura rien à lui reprocher à ce moment. Il n'est pas con, non plus. Il ne tentera rien dans un lieu public, mais Manu ne semble pas de cet avis. La jeune femme insiste. Ils n'ont plus rien à se dire. Pourtant, pourtant... si, Lee a bien quelque chose à dire à Manu, mais bon, il ne va pas la forcer. Il hoche la tête lentement, sans un mot. Elle marche, d'un pas rapide, s'éloignant. Lee ne bouge pas, resté sur place. Il soupire. Son poing se serre, il est frustré. Très frustré. Mais bon... Là, il ne peut rien faire. Il ne va pas dire en pleine rue ce qu'il avait à dire. Il la regarde simplement s'éloigner.

Puis quelques secondes plus tard, il tourne les talons et prend la direction opposée, entre dans le premier bar qui se trouve là et commande un verre de gin, sans glace. La main sur la nuque, il soupire... Comment et quand va-t-il pouvoir parler à Manu ? Intérieurement, il rage un peu, il faut le reconnaitre. Tout ne se passe pas comme il le veut...

Le lendemain matin, Manuela est encore sous le choc de sa brève rencontre avec Lee. Malgré tout, elle n'a pas le choix de retourner travailler. Son loyer, son prêt et les réparations sur sa voiture ne se paieront pas toutes seules. En plein jour, alors que le restaurant est achalandé, elle ne craint pas trop d'être importuné par lui. Sa journée se déroule sans encombre. Cette fois, elle termine un peu plus tôt et décide d'aller prendre un chocolat chaud au petit café au coin de la rue avant de retourner chez elle. Ils ont un petit coin très cozy où il est agréable de lire un bon livre. Cela lui fera du bien de se détendre un peu après la semaine éreintante qu'elle vient de traverser. Elle a congé demain, un repos bien mérité.

Une fois ses fesses posées sur le fauteuil, ses pieds croisés et remontés sur la table, elle s'affère à sortir de son sac ce roman dont elle souhaite débuter la lecture depuis un bon moment. Puis, la clochette du café retentit. Elle n'y porte pas vraiment attention sur le coup, mais lorsqu'elle relève les yeux de mon sac, elle le vois s'avancer dans sa direction. Encore lui!

Son corps se raidit, elle ramène ses pieds au sol, une main sur son sac, comme prête à déguerpir en cas de besoin. Mais il se tient entre la sortie et elle. Cette fois, elle n'aura pas trop le choix de l'écouter. Et puis, ce ne sera peut-être pas si terrible que ça. Et ils sont quand même dans un endroit public, rien ne peut lui arriver de mal non?

" Qu'est-ce que tu veux? "

Ne tournons pas autour du pot, autant bien se débarasser au plus vite de ce moment désagréable afin de ne plus jamais avoir affaire à lui.