Ce jour ci, Chester avait décidé de le passer chez son frère adoré de toujours : Cole. Il était arrivé au petit matin et comptait repartir dans la soirée. Chez Cole, c'était un peu comme sa seconde maison, il s'y rendait assez souvent et il trouvait un certain confort en ces lieux qui le changeait de son appartement habituel. La présence de Cole avait aussi pour don de l'apaiser, se sentant en confiance, compris, un peu havre de paix en soi. Ce jour là, ils ne seraient que tous les deux et ça n'était pas pour lui déplaire. Il aimait bien partager des moments juste à eux, sans que quiconque d'extérieur ne vienne les déranger.
Sa vie avait été pas mal mouvementée ces dernières semaines et sa charge de travail terriblement élevée. Mais pas d'inquiétude, Chester appréciait cela. On lui reprochait d'être workaholic sur les bords, un peu trop même. Il faisait partie de ces énergumènes qui se sentaient utile uniquement en faisant travailler ses méninges et avoir l'esprit occupé en permanence. Une qualité comme un défaut, car il ne vivait que très peu pour lui-même. Cependant, en emménageant à New York, il s'était promis d'être un peu plus relâché, de ne pas retomber dans le cercle vicieux du boulot, quel qu'il soit.

Cole avait dû s'absenter pour un imprévu à gérer, alors Chester avait pris place dans le sofa près de la fenêtre et s'était plongé dans sa lecture du moment, un des ouvrages de Douglas Adams dont l'humour absurde était un des rares à lui arracher des rires. C'était terriblement facile mais très efficace sur lui, et surtout, ça lui faisait beaucoup de bien. La pluie commençait à tomber et les premières gouttes vinrent s'écraser contre la vitrine. Chester s'était ainsi arraché de sa lecture pour observer le phénomène météorologique -il avait toujours ressenti une grande fascination pour cela- avant de replonger le nez dans son bouquin. Pas pour longtemps, hélas. Quelqu'un frappa à la porte, ce qui le fit lever instinctivement la tête en sa direction. Il redressa ses lunettes un peu plus en avant sur son nez, posa le livre ouvert et s'extirpa du sofa pour aller guetter à travers le judas la silhouette de cet invité qui n'était pas prévu au programme. Il haussa les sourcils en reconnaissant la carrure d'un autre de ses frères, Clarence, dont il ignorait la visite à ce jour. Il hésita à ouvrir, mais finit par tout de même par le faire.

- Tiens tiens, mais qui voilà donc?!

La réaction de son plus jeune frère ne tarda pas à fuser. En guise de formule d'accueil, Chester se vit offrir une question grinçante qui cherchait à savoir ce qu'il faisait là. L'astrophysicien arqua un sourcil.

- Vraiment, cela t'étonne?

Il la sentait, l'attitude hostile de Clarence à son égard et il ne pouvait pas lui en vouloir pour le coup. Leur relation n'a jamais été au beau fixe entre eux deux, et d'aussi loin que ses souvenirs pouvaient remonter, ils ne s'étaient jamais vraiment bien entendus. Clarence poursuivit en lui posant une autre question concernant la présence, ou plutôt la non présence, de la personne qu'il était venu initialement voir.

- Comme tu peux t'en rendre compte, effectivement. Mais si tu as un message à lui faire passer, je pourrais lui transmettre.

Il afficha un air patient alors qu'il pianotait ses doigts sur l'embrasure de la porte d'un rythme régulier.

D'une certaine manière, ça lui faisait un peu étrange de voir aussi directement et brutalement Clarence. Il avait si peu eu l'occasion de le croiser ces derniers temps que ces retrouvailles inattendues lui faisait l'effet d'un seau d'eau qu'on lui versait sur la tête. En soi, l'entente entre eux n'étaient peut être pas des meilleures mais ce n'était pas non plus de la haine profonde, du moins, l'espérait il. Ils évitaient de se parler et c'était tout aussi bien. Bien entendu, Chester trouvait regrettable cette petite guerre éclatée dans sa famille, mais telle étaient ainsi faites les choses et malheureusement, c'était dans cet atmosphère là que la jolie fratrie avait grandi. Faite de compétition, d'humiliation, d'attentes à assouvir et tous en avait pâti d'une manière ou d'une autre. Même "les grands" comme le disaient "les jeunes". En ce qui concernait Chester, il dirait qu'il s'était adapté, même si ça n'avait pas été évident tous les jours. Il avait pleuré lui aussi, seul dans sa chambre, s'enfermant à double clés pour que personne ne le voit. Mais il n'en voulait à personne, à vrai dire. Il avait compris qu'il ne pouvait compter que sur lui-même, majoritairement. Cole avait été une rare oreille, quelqu'un dont il avait fait le choix de se fier en vue de leur date de naissance, proche. Né un an après l'autre, Chester avait à peine soufflé sa première bougie lorsque Cole était venu au monde.
Clarence ne lui parla pas méchamment, surtout lorsqu'il a suffit pour lui de répondre qu'en effet, il n'était en fait pas surpris de constater la présence de Chester chez leur frère. En réponse, il lui adressa un sourire satisfait. Puis lorsque Chester lui proposa de lui transmettre ce que Clarence avait à lui dire, si tant est bien qu'il avait quelque chose à lui dire, ce dernier préféra battre en retraite, jugeant que ce qu'il avait à lui dire n'était pas important. Première surprise. Puis, il finit tout de même par ajouter qu'il pourrait en fait lui parler du fait qu'il comptait mettre aux enchères ses voitures à but caritatif. Les quelques secondes qui suivirent furent silencieuses, Chester trop occuper à scruter son jeune frère du coin de l'oeil. Puis :

- Donc, si je comprends bien, tu viens ici chez Cole, en personne, lui annoncer que tu vends aux enchères tes voitures...

Nouveau silence de sa part. Et enfin, après avoir plissé les sourcils et fait un tour de deux de ses doigts devant son propre visage : "Dis moi Clarence, est ce que j'ai l'air d'un idiot?"

Non parce que, on la lui faisait pas à lui. Mais finalement, il soupira. Il n'avait pas envie de se disputer ou quoique ce soit, là, maintenant. S'il était venu chez Cole, c'était pour trouver calme et sérénité, non pas conflits et engueulades. Il avait bien assez de cela sur son lieu de travail pour en rajouter lorsqu'il se donnait du temps pour lui.

- Oublie ce que j'ai dit, je lui dirais, si tel est ton souhait. J'espère que la vente aux enchères se passera bien pour toi, enfin plutôt pour les associations..! Félicitations d'ailleurs, tu te lances dans la bonne action, je dois admettre être sincèrement touché - et surpris - par cette nouvelle!

Il n'ajouta rien de plus que ce qu'il avait déjà dit qui pourrait être mal interprété.

Recevoir la visite de Clarence -alors qu'il n'était même pas chez lui- était déjà assez surprenant en soi, mais quand en plus, ils commencèrent à avoir une sorte de conversation sur des sujets un tantinet sérieux, voilà qui remettait en perspective beaucoup de chose. Il était évident que Clarence et lui n'avaient jamais vraiment eu de rapports positifs tous les deux. Parfois négatifs, voilà rien du tout. En dehors de ses relations avec Cole, Chester s'était toujours préservé de toute cette ambiance conflictuelle, ne souhaitant pas se mêler à des choses qui pourraient envenimer la situation et le mettre en péril, lui. Il avait décidé de se consacrer principalement à ce qu'il avait à faire afin de pouvoir réussir, et c'était ce qui l'avait amené à être le docteur qu'il était à présent. Il le devait un peu à ses parents, mais au fond, il le devait avant tout à lui-même. Il faisait un métier qui lui plaisait et dans un milieux qui l'avait toujours fasciné. Avec le recul, Chester se disait qu'il aurait aimé partager sa passion avec d'autres membres de sa fratrie, notamment "des plus jeunes" mais en voyant la situation familiale, il n'avait pas su le faire.

Clarence décida ainsi de jouer la carte de la transparence, ce à quoi Chester ne s'était pas préparé. Il ne trouva pas immédiatement les mots à répondre à ce que son frère lui disait, comme quoi il l'avait longtemps cru idiot mais pour des raisons de jalousie. Au fond, Chester savait qu'il disait vrai, c'était évident, mais autant d'honnêteté d'un seul coup et sans qu'il n'ait eu à forcer quoique ce soit, c'était un peu déroutant. Cerise sur le gâteau, Clarence lui assura qu'il ne l'était pas, idiot, et qu'il le savait très bien lui même. L'idée d'être victime d'une mauvaise blague traversa l'esprit de Chester à ce moment là, qui ne put s'empêcher d'afficher une expression sceptique sur son visage.

- Qu'est ce qui t'arrive Clarence?

Après quoi, il lui expliqua la raison qui faisait qu'il venait discuter avec Cole de cette vente aux enchères pouvant intéresser les patients de leur frère. Chester secoua très doucement la tête pour trouver de la logique à cela mais il décida qu'après tout, pourquoi pas. Au fond, ça ne le regardait pas spécialement et leur relation n'avait tellement pas été des meilleures qu'il était sur que Clarence ne lui parlerait pas de choses sérieuses. Surtout si ça n'a pas de rapport avec la famille en elle-même.
Puis Clarence poursuivit sur un concept encore plus sérieux de la conversation, autre chose à laquelle Chester ne s'était pas non plus préparé. Les aléas des imprévus. Clarence semblait déterminé à être totalement honnête vis à vis de lui, et alors que Chester l'écoutait, il s'appuya sur le rebord de la porte, les bras croisés. Non pas parce qu'il se fichait de ce que son frère lui disait, mais parce qu'il prenait justement au sérieux les paroles qu'il lui adressait. Le fait de le trouver nul, de lui dire qu'il avait changé, qu'il était passé par des phases difficiles. Tout ça sur le pas de la porte de chez Cole. Et puis, il parla de Charles et de la culpabilité qu'il possédait vis à vis de la mort de ce dernier.

- Ok.. Alors, pour le coup, je ne m'étais pas préparé à ce genre de conversation avec toi, vraiment. Mais je devine là que tu en as beaucoup sur la conscience, que ce soit vis à vis de moi ou de... d'autres choses. Et le fait que tu me déballe tout d'un seul coup est quelque peu... perturbant, tu m'excuseras. Mais si tu le souhaite et que tu as du temps devant toi, peut être que tu pourrais rentrer afin qu'on puisse en parler tous les deux autour d'un thé, comme deux adultes. Cole risque de mettre du temps avant de rentrer, mais je retiens le message si jamais. Qu'en penses tu? Et si jamais tu dois partir... Alors peut être aurions nous l'occasion d'en parler à un moment ou un autre?

Parce que non, lui non plus n'est pas fermé à l'idée de discuter avec lui. Et que, si Clarence était réellement sincère, Chester pouvait peut être apercevoir une tentative d'ouverture de sa part, chose qu'il ne voulait pas négliger.